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Le pillage de Moscou

La retraite de Russie en 1812

En octobre 1812, Napoléon quitte Moscou, où il était entré victorieux un mois plus tôt, à la tête de la Grande Armée. C'est le début de la retraite de Russie, où des dizaines de milliers d'hommes perdront
la vie, victimes du froid, de la faim, et des attaques
incessantes des cosaques.

Le pillage de Moscou s'organise

pillage de Moscou par les soldats de Napoleon
C'étaient, nous dit Ségur, au milieu des champs, dans une fange épaisse et froide, de vastes feux entretenus par des meubles d'acajou, par des fenêtres et des portes dorées. Autour de ces feux, sur une litière de paille humide, qu'abritaient mal quelques planches, on voyait les soldats et leurs officiers, tout tachés de boue et noircis de fumée, assis dans des fauteuils ou couchés sur des canapés de soie. A leurs pieds étaient étendus ou amoncelés les châles de cachemire, les plus rares fourrures de la Sibérie, des étoffes d'or de la Perse, et des plats d'argent dans lesquels ils n'avaient à manger qu'une pâte noire, cuite sous la cendre, et des chairs de cheval à demi grillées et sanglantes : singulier assemblage d'abondance et de disette, de richesse et de saleté, de luxe et de misère !
Entre ces étranges camps et la ville, l'Empereur rencontre de nombreux groupes de soldats traînant leur butin en poussant devant eux, comme des bêtes de somme, des Russes ployés sous le poids du pillage de la Grande Armée.
Il demeurait cependant encore debout presque un tiers de la ville. Mais le pillage allait détruire ce que le feu avait épargné; un pillage absurde, grotesque, démentiel !... Le sol est jonché de rapines que les soldats ont abandonnées pour s'emparer d'un autre butin. Nombreux sont ceux aussi qui, ivres, sont assis sur des ballots de café et de sucre, ayant auprès d'eux du vin et des liqueurs qu'ils voudraient échanger contre un morceau de pain.
Donnons la parole à des témoins pris au hasard. D'abord le baron Peyrusse : Le soldat, couvert de boue et noirci par la fumée, assis dans un fauteuil de velours cramoisi, mangeait sa soupe dans des assiettes de porcelaine et buvait dans des verres du plus beau cristal. Des forçats, des prostituées, mêlés avec nos soldats, participaient à cet affreux pillage. A chaque pas, on se voyait accosté par un soldat qui métamorphosé en marchand, vous offrait à vil prix, des étoffes, des châles précieux qui souvent enveloppaient de mauvaises morues ou un morceau de jambon...

Un sinistre présage

Les quelques habitants demeurés sur place errent pieds nus, le visage à demi brûlé par les flammes et pleurant comme des enfants. « Ici, l'on voyait un homme de qualité, bien vêtu mais chaussé de souliers d'écorce, parce qu'un Français avait trouvé ses bottes à sa convenance. » D'autres Moscovites, barricadés chez eux, décident, mais en vain, de soutenir un véritable siège. Les pillards ont vite raison de leur résistance.
Un vaste marché s'organise. « En avançant à travers la ville, a écrit le capitaine Labaume, nous vîmes une foule de soldats qui vendaient publiquement et échangeaient quantité d'objets qu'ils avaient pillés, car ce n'était qu'aux grands magasins de comestibles que la Garde impériale avait placé des sentinelles. En approchant davantage, le nombre des soldats se multipliait, et tous revenaient en masse, emportant sur leur dos des pièces de drap, des pains de sucre et des ballots entiers de marchandises... »
Ce sont les soldats allemands, polonais, italiens ou espagnols qui se conduisent le plus affreusement. « Les vrais Français sont bons, peut-on lire dans un document conservé aux archives russes ; on les reconnaissait à leur uniforme et à leur langue, ils ne faisaient presque jamais de mal à personne ; mais, par contre, toutes leurs recrues nouvelles et allemandes ne valaient rien. »

Un seul point est commun à tous : l'ivrognerie, et, bien entendu, le pillage. « J'étais riche de fourrures et de tableaux, dira B.T. Duverger ; j'étais riche de caisses de figues, de café, de liqueurs, de macaroni... »
On dédaigne cependant le poisson salé et même le caviar qui surprend le palais des Occidentaux.
Napoléon, lui aussi, pille... mais à sa manière. Il donne l'ordre d'enlever la gigantesque croix d'or qui se trouve en haut de la tour d'Ivan. Elle est destinée à orner le dôme des Invalides. L'Empereur assiste à la difficile opération exécutée par les sapeurs de la Garde. Tandis que l'on s'affaire, des nuées de corbeaux volent autour de la croix.
Il semble que ces oiseaux sinistres veulent la défendre, s'exclame l'Empereur.
La rupture d'un câble fait tomber la croix, et la terre tremble sous ce poids énorme. Trophée inutile... car la croix disparaîtra on ne sait où pendant la retraite !

L'immense colonne se met en route

Le lundi 19 octobre, Napoléon, sous un beau soleil, sort du Kremlin par la porte du Sauveur. Un quart d'heure plus tard, il a quitté Moscou sa plus lointaine et dernière conquête. Il a donné l'ordre au duc de Trévise de garder le Kremlin avec une division, une brigade, deux compagnies de sapeurs, de l'artillerie et cinq cents, cavaliers... De le garder, mais aussi de l'incendier et de le faire sauter lorsque la garnison française quittera la citadelle !

Un Français de Moscou, le sieur Tastevin, erre dans la ville : « Voici, au départ de la Grande Armée, ce qui restait de Moscou : dans le quartier central de KitaïGorod, toutes les maisons avaient été incendiées ou détruites. La Varvarka ne comptait pas une seule maison debout. Au Kremlin, la tour Spasski (du Sauveur) avait été détruite par les explosions, mais l'image miraculeuse qui surmontait la porte n'avait pas souffert. Sur la place Rouge, jusqu'à la porte Iverski (d'Ibérie), les boutiques avaient brûlé des deux côtés. L'arsenal et la muraille avoisinant la porte Nikolski, obstruée par les débris de la flèche qui s'était écroulée. A l'intérieur du Kremlin, le palais impérial offrait un monceau de ruines ; le grand escalier était couvert de paille et de débris de légumes. Le palais à Facettes avait été incendié et les ruines fumaient encore le jour de la rentrée de l'armée russe à Moscou. Les deux cathédrales étaient intactes, mais le clocher d'Ivan Véliki ne présentait plus qu'un entassement de briques, de pierres et de plâtres où se voyaient des cloches, des croix et des poutres. »

Tandis que Tastevin trace ainsi le bilan de l'occupation française, l'armée, forte encore de plus de cent mille hommes, dont cinquante mille montés ou tractés,a suivi son chef. La Garde ferme l'immense colonne.
Chaque officier possède souvent plusieurs domestiques qui ont emboîté le pas à leur maître. Des femmes, infiniment plus nombreuses qu'on ne le croit communément, marchent, mêlées aux combattants. Les régiments sont accompagnés de boeufs et de vaches étiques, qui mourront d'ailleurs rapidement, sans qu'on doive les abattre. Des milliers de véhicules de tous genres, remplis non seulement de tout ce qu'il faut pour manger, camper, se vêtir, mais aussi d'objets volés, roulent à la suite de l'armée en un gigantesque désordre. On peut voir un simple général de brigade (chef d'état-major du premier corps) caracoler fièrement, accompagné de vingt-cinq chevaux et de six voitures, toutes débordantes d'un amas de choses hétéroclites !
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