Il existe, naturellement, de fortes disparités selon les secteurs. Mais, à y regarder de plus près - et les cartes postales illustrées sont d'excellentes révélatrices du phénomène -, on s'aperçoit que les femmes sont présentes, en tant qu'ouvrières, aussi bien dans des professions dites féminines que dans la métallurgie, les mines ou les carrières. Elles y sont, il est vrai, relativement peu nombreuses, mais elles y occupent des postes pénibles, où il n'est tenu aucun compte de leur condition de femme.
Jean-Baptiste Dumay, mécanicien chez Schneider, au Creusot (il deviendra député de Paris-Belleville puis régisseur de la Bourse du travail), remarque que, sur 400 femmes employées sur les chantiers, à peine 10 p. 100 d'entre elles font un travail qui n'excède pas leurs forces. Il s'agit des veuves d'ouvriers de l'usine, âgées de 45 à 50 ans. Ce sont les seules à exercer une tâche considérée comme un travail de femme : le balayage des parquets dans les locaux où sont installées les machines fixes, notamment les lavoirs ou les broyeuses à charbon. Des veuves plus jeunes, qu'il rencontre sur d'autres chantiers, sont occupées à des tâches plus rudes, dans l'exploitation des hauts-fourneaux par exemple, où ces femmes, en compagnie de jeunes ouvrières, charrient le minerai de fer dans des brouettes excessivement lourdes. Il y a deux équipes : l'une de jour, l'autre de nuit. Les surveillants sont d'anciens sous-officiers et, souligne Jean-Baptiste Dumay, « la chronique scandaleuse ne chôme pas ! »
Attentives à ce que le salaire de l'une ne dépasse pas le salaire de l'autre, les femmes se jalousent et se disputent entre elles. Les laveuses de charbon gagnent 35 centimes par wagon ; elles lavent en douze heures 4 ou 5 wagons, quand tout va bien, ce qui leur procure, en été, un gain journalier de 1,40 F ou de 1,75 F. Mais, en hiver, la glace gêne le fonctionnement du lavoir et il est rare que leur rendement atteigne 4 wagons. Le salaire moyen journalier se réduit alors à 1,25 F. Dans les périodes de fortes gelées, le lavage est un véritable supplice. Les femmes doivent pousser le wagon devant le lavoir. Il leur faut un temps infini pour, à l'aide de pinces en fer, dégager les roues gelées du véhicule et le faire avancer de quelques mètres sur la voie.
En dehors de l'usine se trouve un grand dépôt de charbon au chargement et au déchargement duquel sont employées des jeunes filles, payées 15 centimes de l'heure. Mais seul le travail effectif est rémunéré, le temps d'attente entre deux wagons ne l'est pas. Quelques femmes âgées sont aussi employées aux fours des grosses forges et aux fours à coke, où, les mains enveloppées dans des chiffons, elles cherchent dans les cendres chaudes les escarbilles assez grosses pouvant encore servir à la combustion.
Dans la métallurgie et la sidérurgie, les femmes n'occupent pas seulement des postes de manoeuvres. On trouve au sein de ces industries aussi bien des tailleuses de limes que des conductrices de machines. Pour la fabrication des vis, des clous, des épingles, du matériel de serrurerie, des toiles métalliques, des lampes électriques, des cigarettes ou des cartouches dans les manufactures d'armes, les employeurs ont généralement recours à un personnel féminin, qu'ils considèrent comme particulièrement habile et actif. C'est aussi le cas dans l'industrie alimentaire, où les femmes sont majoritaires, de même que dans les usines de caoutchouc, de papeterie, de cartonnerie ou de coutellerie. Et l'on sait l'extrême importance des effectifs féminins dans les filatures en tous genres, les usines de tissage, les fabriques de gants, de rubans, de chemises, les manufactures de corsets, de confection, de chaussures, etc.
Quels que soient les emplois occupés, et à l'exception de rares industries comme celle de la taille du diamant, les ouvrières perçoivent touiours un salaire sensiblement inférieur à celui des hommes. À Paris, dans l'industrie, la moyenne des salaires masculins est de 6 F par jour tandis qu'elle n'est que de 3 F pour les femmes.
En cette période où la France connaît une dénatalité inquiétante, la maternité fait l'objet d'une attention toute particulière. Mais celle-ci se manifeste surtout dans la littérature et les beaux-arts, et un député est amené à constater que l'État français alloue chaque année six fois plus de subventions pour combattre la mortalité du bétail que pour enrayer celle des enfants. La loi Enguerrand, votée en 1909, accorde aux femmes salariées un congé de maternité d'une durée totale de 8 semaines, avant et après l'accouchement, et permet aux mamans de retrouver leur emploi. Mais, à l'exception d'une faible allocation octroyée aux mères nécessiteuses, aucune indemnité n'est versée pendant le congé. Seules les institutrices et les employées des P.T.T. bénéficient d'un congé de maternité de 2 mois à plein traitement. Cette mesure sera étendue en 1928 à l'ensemble de la fonction publique.
Des sociétés de bienfaisance s'emploient, ici et là, à adoucir le sort des prolétaires les plus démunies, et le paternalisme, apparu sous le second Empire dans la grande industrie, continue d'être largement pratiqué par un patronat soucieux de paix sociale. C'est à cette sollicitude intéressée que l'on doit, dans les usines du nord de la France, l'organisation par quelques industriels de chambres d'allaitement, destinées à lutter contre la mortalité infantile.