Le Garde Voie
rideau
garde-voie

Article de Emile Dufour
Les employés des chemins de fer
Paris 1891

la voie n'est pas plutôt livrée à la circulation que commence une surveillance de tous les instants, et qu'un service et un personnel spéciaux, sans cesse occupés à la recherche des points défectueux, fonctionnent partout régulièrement. Ces points défectueux, la marche même de ce grand organisme les met en évidence. C'est un rail qui se brise sous l'énorme pression d'un convoi; des traverses qui se dérangent, des coins qui se desserrent, des chevillettes qui sautent et plus tard, toutes les déformations que peuvent subir les remblais ou les parties de voie qui traversent les régions marécageuses.
Et qui charge-t-on du soin de reconnaître et de réparer ces accidents?
C'est toute une hiérarchie : garde-voie pour la surveillance journalière et les menues réparations; cantonniers-poseurs, pour les réparations urgentes qui exigent un outillage spécial et l'habitude de ces sortes de travaux; ateliers de démontage, de pose et de substitution, pour les remaniements qui se font sur une grande échelle; conducteurs a qui est confié la surveillance des gardes-voie et des cantonniers, la visite de la voie et l'exécution des réparations indispensables à la sécurité des convois. Enfin, dominant tout ce personnel, vient l'ingénieur de la voie. Une fois par mois, au moins, ce fonctionnaire doit inspecter la ligne entière, s'assurer de l'observation des règlements, prendre note des travaux extraordinaires, et rédiger les projets, et les faire exécuter après autorisation de la direction.
Tel est le personnel attaché à la surveillance et à l'entretien de la voie.

surveillance chemin de fer 1930

On peut remarquer, tout le long du chemin de fer, et de distance en distance, les modestes employés, le plus souvent vêtus d'une blouse bleue et coiffés d'un chapeau de cuir bouilli, sur le front duquel se détachent ces mots découpés dans une bande de cuivre "Chemin de fer"; postés près des passages à niveau, un petit drapeau roulé à la main, ils indiquent au chef de train que la voie est libre quand ils tendent le bras dans une direction parallèle à la voie; le drapeau déployé, vert ou rouge en travers du chemin est au contraire un signal de ralentissement ou d'arrêt. Ce sont les gardes-voie.
Enlever de la voie — du moins dans la partie qui leur est confiée — tous les objets qui pourraient entraver ou seulement gêner la marche des trains, donner ou transmettre les signaux, ouvrir et fermer les barrières, écarter les bestiaux, nettoyer à fond les raies sous les passages à niveau, constater les ruptures des rails, les éboulements, donner, s'il y lieu, le signal de ralentissement ou d'arrêt, ramasser avec soin le coke tombé sur leur triage, les effets, les ballots échappés des wagons et des voitures, tel est le service assigné aux gardes-voie. Les règlements les rendent responsables des retards occasionnés par un embarras qu'ils n'auraient pas fait disparaître, ou au moins signalé.
Voyageurs, chaudement renfermés dans vos voitures bien closes, à l'abri du mauvais temps, songez quelquefois à ces vigilants gardiens, dont l'active surveillance est la sauvegarde de votre sécurité. Une pauvre guérite, voilà, tout ce qu'ils ont pour se garer des plus violentes bourrasques. Lisez l'article 16 du règlement de la ligne de Strasbourg à Bâle : La pluie, la neige ou autre intempérie ne peut être un prétexte d'absence pour les gardes, et ils ne peuvent s'éloigner du chemin de fer en aucun instant de la journée, sous peine de renvoi immédiat.
Lorsque les compagnies, pour récompenser des services si pénibles, donnent au garde-voie, pour lui et sa famille, la jouissance d'une maisonnette et d'un coin de jardin qu'il cultive à ses rares moments de loisirs, songez que ce n'est pas générosité, mais justice.

entretien voie ferrée
Tous ne sont pas aussi heureux. Je me rappelle avoir vu le long des solitudes pierreuses de la Crau d'Arles, de pauvres femmes en guenilles remplir les fonctions de gardes-voie, loin de toute maison, de tout abri. Depuis, on aura fait construire quelques maisons, je pense, pour loger ces pauvres gens. Quelques outils, marteaux, pelles, pioches, râteaux, des coins, des chevilles, pour les menues réparations, un cornet, des drapeaux et des lanternes pour les signaux, un exemplaire du règlement qui concerne le garde-voie, un autre pour le service spécial des signaux : tels sont à peu près les objets dont le garde est pourvu et qu'il dépose dans sa guérite. Le nombre des gardes-voie varie avec le nombre des passages à niveau : dans certains cas, le même garde a la surveillance de plusieurs passages, et, lors de l'arrivée d'un convoi, il se tient au plus fréquenté d'entre eux, d'après l'indication du conducteur de la division.

Les gardes-voie n'éxécutent que les moins importantes des réparations : les autres sont l'affaire des cantonniers poseurs, répartis par brigades le long du chemin. Quatre ouvriers poseurs et un chef, voila la brigade. Ils redressent la voie, remplacent les rails brisés ou hors de service, nivellent la chaussée, complètent le ballast. Leur nombre, ai-je besoin de le dire, varie aussi avec les lignes, avec les tronçons d'une même ligne : l'ancienneté de la voie, l'étendue des remblais, et aussi le nombre et la charge des convois mis en circulation déterminent, sur un chemin de fer, le nombre plus ou moins grand de ces brigades. Certaines époques sont plus spécialement consacrées aux Travaux de réparations générales. Comme la température exerce une influence continue très marquée sur le matériel des voies, on a dû choisir les époques qui précédent les périodes extrêmes de chaleur et de sécheresse, de grands froids ou d'humidité. Le sable, dans les temps secs, perd sa consistance; il devient mobile comme un fluide et le moindre ébranlement le fait fuir sous les traverses. Pendant les fortes gelées, les terres sont assez dures pour rendre le travail fort difficile : comme cette dureté tient à une circonstance exceptionnelle, elle disparaît avec elle, et les parties réparées du terrain s'effondrent avec le dégel.
Les plus petites négligences finissent par entraîner des réparations coûteuses, tant sur la voie même, que dans les machines et les voitures dont les moindre chocs peuvent détériorer les organes. Bien plus, des déraillements, des accidents presque toujours funestes peuvent en résulter pour les trains. On ne saurait donc trop veiller à la stricte exécution de ces mesures de prudence.
Article de Emile Dufour
Les employés des chemins de fer
Paris 1891

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