Les facteurs à la belle époque
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Pour les bourgeois 1900, qu'ils soient de la ville ou de la campagne, le facteur n'est qu'un domestique parmi les autres, et à traiter comme tel : salaire faible et utilisation intensive. C'est d'ailleurs bien ainsi que l'entend aussi l'Administration. Qu'on en juge d'après une lettre ministérielle du 23 septembre 1880 donnant quelques précisions sur la distribution rurale. Fin 1879 le nombre de tournées est de 20 287. Le parcours moyen que doit accomplir journellement chaque facteur rural est de 27 kilomètres. Il est admis qu'une tournée n'est trop longue, que si elle dépasse 32 kilomètres.
8 995 de ces communes sont dotées de plusieurs levées de boîtes qui permettent aux habitants de répondre le même jour aux lettres reçues.
Tous ces chiffres disent l'effort quotidien exigé des sous-agents dans les campagnes. Et pourtant il s'agit de chiffres officiels qui cachent encore une partie de la vérité. Il suffit pour s'en convaincre de citer cet entrefilet paru dans l'Echo de l'Indre du 14 mars 1902 : « On nous prie de rectifier un article du journal du département de l'Indre « Les sous-agents des Postes », où il est dit que la plus longue tournée postale de l'Indre était faite par un facteur d'Ardentes. Le facteur de Vic-Exemplet accomplit un parcours de 53 kilomètres 400. Il détient donc le record. Il voyage à pied en solide gaillard qu'il est... Le point le plus éloigné de sa tournée est distant du bureau, en ligne directe, d'au moins 13 kilomètres. Il s'y rend presque chaque matin. En voilà un qui n'émarge pas au budget... pour des prunes.»

facteurs 1900
poste 1900

« Dames-employées » de la Poste
Il court dans les campagnes de méchantes histoires sur le compte des receveuses des Postes. On les dit potinières, curieuses et même indiscrètes, on les accuse de lire le courrier qu'elles ont mission de faire circuler. En premier lieu, naturellement, les cartes postales, qui voyagent à découvert. On raconte qu'elles narrent avec délice, dans des « thés » offerts au percepteur, au secrétaire de mairie ou au brigadier de gendarmerie, les petits secrets du pays. En vérité, les dames-employées de la Poste, comme on les appelle, exercent leur métier avec conscience et discrétion. Elles le font pour 90 F par mois. Avec ce traitement, il leur faut non seulèment se nourrir mais « garder un rang », c'est-à-dire avoir une mise correcte. Et se taire.
L'échelon final, auquel chacune aspire, est celui de receveuse de 2e ou de 3e classe. Jadis réservée à des militaires en retraite, cette fonction est maintenant dévolue aux femmes, avec une préférence pour les veuves d'employés. Dans sa petite commune rurale, la dame-receveuse des Postes fait partie des personnalités. Elle peut disposer d'agents auxiliaires, qu'elle rémunère directement au moyen des « frais d'aide » qui lui sont alloués par l'Administration. À cette aide vient s'ajouter une modeste allocation perçue pour l'achat de l'équipement du bureau. Ces fournitures comprennent, par exemple, le mobilier de la salle d'attente, les panneaux destinés à recevoir les notes de service, une carte de l'arrondisse­ment, une balance Roberval, un pèse-lettres, une pendule et divers autres matériels, dont les encriers, les plumes et les buvards mis à la disposition du public.

la poste en 1900

On entre à la Poste par concours. Pour concourir, il faut avoir entre 18 et 25 ans, et une taille minimale. Celle qui mesure moins de 1,50 m n'en est pas jugée digne. En revanche, toute fille, épouse ou soeur d'un employé est admise en priorité au concours. Comme le sont également les élèves des maisons d'éducation de la Légion d'honneur et, en troisième position, les aides ayant exercé leur fonction aux P.T.T. pendant deux ans au moins. L'accès à la fonction d'aide de l'Administration postale est possible à partir de l'âge de 16 ans et comporte un petit examen d'aptitude.
Pour « entrer dans les Postes », il est indispensable d'avoir réussi son certificat d'études primaires. La candidate se doit aussi d'être d'une moralité irréprochable. Pour le prouver, elle doit fournir à l'Administration un certificat de bonne vie et moeurs ainsi qu'un extrait de casier judiciaire. Il lui faut aussi un certificat médical attestant de sa bonne santé. Le concours comporte la copie d'un tableau, une rédaction, un problème d'arithmétique, une question de géographie.
À la Poste, le salaire n'est pas très élevé, mais la dame-employée bénéficie d'une situation stable et d'une retraite après trente ans de service. Elle a, en outre, droit à quinze jours de vacances payées par an, chose rare à l'époque. Naturellement, il lui est indispensable de se conformer aux règles de l'Administration. Si, par exemple, la demoiselle des Postes désire convoler en justes noces, elle doit d'abord en informer sa hiérarchie et obtenir son approba­tion après lui avoir fourni tous les renseigne­ments concernant son futur mari. Pour cela, il lui faut joindre à sa demande un certificat de bonne vie et moeurs concernant celui-ci, ainsi qu'un papier officiel attestant de sa nationalité française. Il faut, de surcroît, que son « futur » n'occupe aucune fonction de police. Il lui est en effet interdit d'épouser un commissaire de police, un gendarme ou même un maire ou son adjoint. Une fois ces formalités accomplies, la demoiselle attendra sagement l'autorisation du sous-secrétaire d'État aux P.T.T. avant de fixer la date de son mariage !

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Un peu plus du quart des effectifs de la Poste, soit 26 000 personnes environ sur 100 000, appartient au sexe féminin. L'arrivée massive des femmes remonte à la fin des années 1870. Auparavant, on les jugeait incapa-bles d'assurer le maniement des appareils Hughes et Baudot des installations télégraphiques. Mais l'Administration s'est rendu compte qu'elle ferait des économies en embauchant des femmes à un salaire inférieur à celui des hommes. Ce qu'elle a fait, provoquant la colère du personnel masculin qui s'en est pris non pas à l'Administration mais aux femmes elles-mêmes. Le Journal des Postes et Télégraphes publia des critiques acerbes contre les employées qui acceptaient de travailler à bas prix et exprima surtout les craintes de voir ces femmes accéder un jour à des emplois de gradées.
Pourtant, lors des grèves de 1909, un phénomène nouveau va se produire. Pour la première fois dans l'histoire de la fonction publique, des femmes vont se joindre au mouvement. La contestation porte sur des problèmes d'avancement mais aussi de rémuné-rations, d'effectifs et de reconnaissance du droit syndical - les syndicats étant alors interdits aux P.T.T. 160 femmes participent à la grève. Certaines seront même arrêtées par la police. Dans les centraux téléphoniques où elles sont nombreuses, leur exaspération est égale à celle des hommes. L'effort demandé au personnel est considérable ; les cinq ou dix minutes de repos qui viennent couper la journée de sept heures ou les congés annuels alloués par l'Administration ne suffisent pas à compenser la fatigue. Ni les effectifs ni le matériel ne sont adaptés à l'accroissement du trafic télégraphi-que et téléphonique. Quinze ans après sa mise en service, le central Gutenberg de la rue Étienne-Marcel, à Paris, est entièrement détruit par un incendie provoqué par un court-circuit. Il concentrait, au cceur de la capitale, l'essentiel des communications des quartiers d'affaires. Présenté comme le dernier cri en matière de progrès technologique, le central Gutenberg était pourtant complètement saturé, avec ses 19 000 abonnés. Et l'on dit qu'il ne possédait ni escalier de secours ni poste d'incendie.
Le téléphone s'est installé dans la vie quotidienne. Ceux qui en ont les moyens se sont rués sur cette invention prodigieuse qui transmet la voix humaine. Ils en usent avec exigence. Devant leur tableau et leurs 32 fiches correspondant à 82 abonnés, les demoiselles du téléphone doivent répondre à l'instant même à d'incessants appels, toujours impatients, parfois énervés ou même injurieux. Il n'est pas question de se rebeller, car, dans leur dos, veillent les surveillantes : une pour neuf opératrices.

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