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Les métiers oubliés...

Les chanteuses
et chanteurs de rue

Comment vivaient
nos ancêtres

Le pavé de Paname a longtemps vibré au ramage de ses moineaux, de l'hirondelle des faubourgs à la môme Piaf. Eugénie Buffet y a poussé la complainte et fait la quête au profit des Bat'd'Af', lors des expéditions coloniales de Madagascar; le jeune Maurice Chevalier y a enchanté les trottoirs de Ménilmuche. Le populo y a repris les mâles refrains composés à la gloire des Joyeux, les couplets vengeurs consacrant le sacrifice héroïque des légionnaires qui étaient grands, qui étaient beaux, qui sentaient bon le sable chaud. Les Mimi Pinson y ont sangloté aux tristes romances des midinettes délaissées par leur dénicheur, des filles-mères sans le sou et des jules raccourcis sur la bascule à Charlot. Dans l'attente de brûler les planches d'un caf'-conc'ou d'un music-hall, une ribambelle de chansonnetteux a battu le caniveau des impasses, devant une claque de gavroches et de poulbots. Gazouillis et trémolos.

C'est une chanson des rues

En ce temps-là, la rue bruisse de mille chansons. Elle résonne des cris des marchands mais aussi des mélodies anciennes ou à la mode. Des complaintes du pavé montent des rues étroites et des carrefours. Des airs d'accordéon cherchent à faire pleuvoir de petites pièces de monnaie. Les ritournelles sentimentales ont la préférence des midinettes. Vite apprises, elles retentissent aussitôt dans les ateliers. On chante aussi les refrains entraînants descendus de la butte Montmartre, et les badauds reprennent en choeur Nini peau d'chien et la Valse brune. On chante, dans les quartiers populaires, le mélancolique Temps des cerises, de Jean-Baptiste Clément, l'ancien communard. La foule vibre aussi à l'unisson de la Canaille, cette chanson farouche et provocatrice dont Yvette Guilbert fait la renommée.

Des chanteuses de rue

les chanteuses de rue
Chanteur ou chanteuse des rues est un petit métier soumis aux intempéries, à l'humeur changeante des passants et aux règlements de police. Exercé par des miséreux sans prétention artistique, il révèle quelquefois d'étonnantes reines du pavé. Eugénie Buffet est de celles-là. Née à Tlemcen en 1866, Eugénie a connu toutes les misères humaines avant d'être sauvée par le music-hall, où l'adaptation du répertoire d'Aristide Bruant lui vaut un certain succès. Le public aime de cette fille la face peinte et violacée protégée par le fichu des faubouriennes, les mains dans les poches d'un jupon sans élégance, l'oeil étincelant et la voix traînarde, comme la décrit, à l'époque, un rédacteur de l'Écho de Paris. Mais c'est la rue qui lui a donné sa véritable dimension populaire. Sous le patronage de journaux parisiens, telle la Libre Parole, l'organe ultranationaliste d'Édouard Drumont, dont elle partage les idées, Eugénie Buffet s'est faite chanteuse des rues et l'argent qu'elle recueille va à des oeuvres de charité. Un demi-siècle plus tard, ce sera Édith Piaf qui incarnera, dans le film French Cancan de Jean Renoir, le personnage d'Eugénie Buffet.

En province, le répertoire est d'une autre nature. A Nantes, les anciens se souviennent encore aujourd'hui des soeurs Amadou, surnommées Coquette et Papillon. Elles chantaient dans les rues coiffées de capelines et vêtues de robes à falbalas. Leur nom véritable était Chireau et leurs prénoms Madeleine-Marie et Clotilde-Joséphine. Ce nom d'Amadou leur venait de la profession de leur père, qui vendait des pierres à fusil et de l'amadou pour les briquets. Mais c'est surtout Marie Kastellin, de son vrai nom Guillermou, ou Guillermit, que les cartes postales ont rendu familière. Marie Kastellin se déplace dans une voiture à chiens pour vendre ses complaintes en langue bretonne.

Les airs du temps

Avant la vulgarisation des postes de TSF, les gens du commun n'apprenaient les succés du jour qu'en écoutant les chanteurs des rues. Ceux-ci rendaient des "petits formats" sur les foires et sur les marchés. Les badauds se vrillaient la mélodie dans l'oreille, plus ou moins fidèlement, et ils emportaient les paroles dans leur poche, un mouchoir par-dessus. La plupart des maisons possédaient un cahier de chansons, un cahier d'écolier dans lequel la mère de famille recopiait d'une écriture appliquée, la même qu'elle prenait pour inscrire ses recettes de cuisine, les rengaines choisies qu'elle se promettait d'interpréter au mariage prochain du cousin Germain. Avant la Grande Guerre, une ritournelle tenait la vogue pendant plusieurs années, parfois même durant plusieurs décennies. Le dernier des communards était mort voilà beau temps que la Ceinture rouge de Paris fredonnait encore Le temps des cerises sous les tonnelles reverdies des caboulots.

La rue vivait sa vie

la vie des chanteuses de rue
Pas fastoche de s'époumoner dans les courants d'air qui balayaient les trottoirs. La rue n'avait rien d'une salle de cabaret. La voix devait être puissante sans paraître criarde, accrocheuse pour attirer le public, chaleureuse pour le retenir. Les succès les plus efficients restaient les complaintes à la guimauve, lancinantes, qui bouleversaient l'âme naïve des grisettes : La chanson des blés d'or, Les roses blanches, On n'a pas tous les jours vingt ans. La tenue vestimentaire avait son importance. Pas trop guenilleuse, mais sans coquetterie. Un foulard autour du cou et une casquette à la Milord l'Arsouille faisaient un bel effet. Les fenêtres s'ouvraient et la monnaie tombait en une pluie tintinnabulante. Des poignées de mitraille crépitaient sur le trottoir. Des sourires éclairaient les vitres aux rideaux écartés, des applaudissements fusaient sous les festons de linge tendus aux balcons, des mains s'agitaient en remerciements derrière les géraniums des jardinières. Le temps d'un couplet, les pipelettes baissaient la radio et abandonnaient leur plumeau dans l'escalier. une ménagère en peignoir déverrouillait l'espagnolette de sa croisée sans se soucier d'être surprise en bigoudis par le locataire si distingué du troisième. Selon les heures de la journée, la rue s'emplissait de senteurs d'oignons frits, de parfums à dix sous, d'odeurs de corridors lavés à grande eau. La rue vivait sa vie, et cette vie était différente d'un quartier à l'autre. Mais la chansonnette ne plaisait pas à tout le monde. Il suffisait de la plainte d'un grincheux pour que rappliquât aussitôt la maréchaussée. Sous prétexte d'un trouble de l'ordre public, les cognes obligeaient l'artiste à se faire entendre ailleurs. D'aucuns connurent même le panier à salade et le commissariat, en compagnie des putes et des clodos.
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