Toute la famille participe
Les sabots, socs ou galoches, sont les chaussures les plus communément portées par toute la population rurale française jusqu'à la Première Guerre mondiale. Si l'on possède des souliers en cuir, ceux-ci sont réservés aux grandes occasions et à la messe du dimanche. Les sabotiers travaillent souvent directement dans les forêts de hêtres, ormes, aulnes ou peupliers, des bois réputés tendres, donc faciles à travailler. Avec du branchage, ils se fabriquent des huttes qui servent à la fois d'abri et d'atelier et voisinent de bon coeur avec les bûcherons et les charbonniers.
Une fois le bois débité en billes, le sabotier fend les bûches à la taille voulue. Puis il faut creuser à l'aide d'une herminette pour dégager le talon et d'un paroir pour lui donner son allure définitive. Le creusage s'amorce avec une vrille nommée tarière. Il utilise également différentes sortes de cuillers pour adapter la dimension et la forme de la chaussure au pied. Il faut ensuite polir longuement afin de donner un aspect lisse et effacer les traces des outils. Le sabot peut être peint, verni, enduit de cire d'abeille ou agrémenté d'une petite bride en cuir sur le coup de pied. C'est parfois la famille tout entière qui s'attelle à la tâche, notamment en Bretagne, et fabrique de concert le boutou coat (sabot en breton). Les hommes se chargent d'abattre et de dégrossir le bois tandis que les femmes creusent les formes. Les enfants manient les cuillers et récoltent les fagots pour alimenter le feu qui séchera les sabots fraîchement fabriqués. Ce sont encore les femmes qui se chargent de la décoration et de la vente de la production auprès de grossistes ou sur les marchés.
Jusqu'au bout des doigts de pied
Les sabotiers "taillaient" en pouces et en lignes. La valeur
unitaire du pouce correspondait à un quatre de nos pointures, soit 2,70 centimètres. Un sabot de dix pouces équivalait donc à une actuelle chaussure de quarante. Douze pouces faisaient un pied. Il était recommandé de choisir des sabots d'une pointure supérieure, quand on en achetait une paire neuve, afin de compenser la réduction du bois au séchage. La ligne, qui était le douzième du pouce, servait à mesurer les lames des outils tranchants.
Un sabot devait être chaussant, s'ajuster au cou-de-pied, ne
point déformer la marche, ne provoquer ni
calas ni durillons. Il ne devait jamais alourdir la jambe des charretiers, ne pas donner
l'air pataud aux gourgandines qui dansaient la gaillarde. Un sabot ne s'adapte pas au pied de celui qui le porte, au contraire d'un soulier il doit convenir dès l'essayage. Le sabotier
connaissait ses bons clients jusqu'au bout des
doigts de pieds.
Si l'on allait pieds nus dans les sabots à la belle saison, il était conseillé de se protéger les ripatons dès que mordaient les frimas, quoiqu'on n'eût jamais très froid à marcher dans des chaussures en bois. Les vieilles étoffes dont on s'entourait les arpions constituaient des "chiffes". On garnissait parfois les sabots avec des "paillettes". Pour ce faire, la paille d'avoine était préférée à celle de blé, moins chaude et plus dure au pied. On en prenait une petite poi
gnée que l'on tressait en trois ou quatre entrelacs
pour former le talon, puis on coupait les mèches à la longueur du sabot et on glissait la garniture obtenue dans la bauge.
La durée d'une paire de sabots
La durée d'une paire de sabots variait entre quatre et huit semaines. Elle dépendait de plusieurs choses: de la façon de marcher et de l'habitude qu'on avait ou non de traîner les pieds, bien évidemment, mais aussi du climat de la saison (les semelles s'usaient rapidement en période de sécheresse, mais l'humidité les détériorait encore plus vite ), de l'état des chemins et des sols (la caillasse et la pierraille râpaient le bois), des travaux auxquels on e livrait.
Un paysan usait six paires de sabots dans l'année, souvent plus que moins. On éclatait un dessus en butant
contre une pierre, on cassait un talon en frappant de la semelle. Afin de faire
durer les sabots et pour qu'ils ne se fendissent pas, on en renforçait les semelles avec des clous, des fers, des bandes de tôle ou du gros cuir découpé dans de vieux harnais.