Voleurs, ivrognes et rustres
Les charbonniers constituaient, pour la plupart des villageois, une engeance de voleurs, d'ivrognes et de rustres. Ils demeuraient dans les bois, sous la loge de branchages, avec leur famille. Les femmes prenaient leur part d'ouvrage, de même que les enfants qui consacraient plus de temps aux fagots qu'aux devoirs de classe; la plupart de ces sauvageons, d'ailleurs, ne fréquentaient guère l'école. Les huttes se groupaient autour d'une cabane commune plus importante, qui était l'équivalent d'une mairie. Le peuple de la forêt vivait là: les sabotiers, les bûcherons, les fendeurs. Ainsi se construisaient, dans les clairières, de véritables villages qui, peut-on imaginer, n'étaient pas sans évoquer les bourgades des lointaines époques gauloises.
Les charbonniers d'autrefois menaient une vie de gueux au fond des bois. Ils se nourrissaient chichement de raves ou de patates bouillies, quelquefois de gibier braconné. Le village ne les voyait point pendant quatre ou cinq mois. Ils débuchaient soudain en fin d'été et se dirigeaient droit sur le cabaret. Là, ils rattrapaient le temps perdu et ne dessaoulaient guère pendant trois semaines. Ils n'en repartaient qu'après avoir bu leur dernier liard. Alors ils se renfonçaient en forêt, plus pauvres que Job, et l'on finissait par les oublier jusqu'à leur sortie suivante.
La soif produisait donc les mêmes effets sur les charbonniers que la faim sur les loups : elle les faisait sortir du bois. En Sologne, à Millançay, on se souvint longtemps d'un de ces bougres, plus noir qu'un cul de chaudron, qui confiait l'intégralité de son pécule au cabaretier du bourg. Il passait ses jours et ses nuits à picoler, ne mettant le nez dehors que pour satisfaire des besoins naturels. Le mastroquet attendait patiemment que la bourse se vide (c'était convenu) pour flanquer le bonhomme à la rue. Dans le Maine normand, en forêt de Sillé-le-Guillaume, les charbonniers travaillaient principalement pour approvisionner les fourneaux de la métallurgie.