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Vivre sous la dictature

Guatemala
Ils tiraient sur tout
ce qui bougeait

Les dictateurs
du XXe siècle

Selon les Nations unies, plus de 200 000 personnes - la majorité d'origine maya sont mortes au Guatemala pendant la guerre civile qui a ensanglanté le pays de1960 à 1996. Le général Efrain Rios Montt, bientôt nonagénaire, a dirigé le pays de mars1982 à août1983, dix-sept mois qui comptent parmi les plus meurtriers de la guerre civile, notamment parce que la junte appliquait la politique dite "de la terre brûlée" à l'encontre des populations autochtones, accusées de soutenir la guérilla de gauche.

Au procès de l'ex-dictateur Efrain Rios Montt en mars 2013

procès de l'ex-dictateur Efrain Rios Montt
Au troisième jour du procès pour génocide intenté à l'ancien président Efrain Rios Montt, les survivants des massacres perpétrés par l'armée contre une population civile désarmée ont continué à raconter l'horreur qu'ils ont vécue pendant la guerre civile (1960 et 1996), et plus particulièrement pendant le mandat de Rios Montt [1982-1983]. Le principal accusé écoutait, raide comme un mannequin, sans montrer la moindre émotion, les témoignages sur la sauvagerie avec laquelle les soldats sous ses ordres ont massacré des communautés rurales indigènes entières.
"Mon père avait 82 ans quand il a été assassiné, raconte Diego Velàzquez. Je l'ai trouvé étendu par terre dans une maison voisine le corps couvert de sang" Il ne sait pas si son père a été touché par les balles des soldats ou si on l'a tué à coups de machette. "Je me rappelle seulement qu'il était couvert de sang", déclare-t-il par le biais d'un interprète.
Juan Lopez Mateo, survivant d'un massacre dans un village des environs de Nebaj (département de Quiché, dans le nord du pays), a perdu sa famille le 2 septembre 1982. Il n'a eu la vie sauve que parce qu'il était parti très tôt travailler dans la milpa (le champ de maïs). "Quand je suis retourné au village, fai entendu les pleurs d'un petit enfant ce qui m'a alerté sur ce qui se passait", commente-t-il. Il a pu entrer chez lui vers 3 heures de l'après-midi, lorsque les soldats sont repartis.

Brûlés vifs

Un autre témoin, Pedro Alvarez Brito, raconte au tribunal que les militaires ont assassiné toute sa famille. "L'armée a encerclé la maison", commente-t-il. Sa sœur, "jeune maman avec son bébé", un de ses petits frères et lui-même ont pu se réfugier dans un temascal [bain de vapeur maya], depuis lequel ils ont vu la totalité des habitants du village introduits de force dans une maison.
"L'un des soldats, a-t-il ajouté, a commencé à mettre la main sur les poules et les poulets de la famille." Il se rappelle que ces volatiles étaient au nombre de 60, que c'était la plus grande richesse de cette maisonnée. "Malheureusement, l'une des poules ne s'est pas laissé capturer et elle s'est glissée dans le temascal", poursuit Brito, si bien qu'ils ont été découverts et ont dû rejoindre les autres. "Ensuite, ils ont mis le feu à la maison", s'indigne-t-il. Le récit d'autres survivants a confirmé les faits : les soldats ont arrosé les maisons d'essence et y ont mis le feu pour que leurs occupants soient brûlés vifs.
"Je ne sais pas comment j'ai fait, mais je suis arrivé à m'échapper en passant entre les flammes et je me suis réfugié sous un arbre, explique-t-il. Je suis resté comme ça, caché comme un animal traqué, pendant huit jours, sans manger ni boire. Nu et sans abri."

Les attaques des hélicoptères

Les récits sur des attaques perpétrées depuis des hélicoptères sont particulièrement accablants. "Ils tiraient sur tout ce qui bougeait, dénonce une septuagénaire. Ils ont tué sans distinction des enfants, des femmes, des vieillards." Les témoignages se succèdent et renvoient toujours à un même mode opératoire. Seuls les lieux et les dates changent. "Je crois que l'armée, qui nous surveillait, profitait de ce que les hommes étaient partis aux champs pour entrer dans le village, et violer et tuer les femmes", affirme Juan LOpez Mateo. Et il ajoute que beaucoup de ceux qui avaient pu se réfugier dans les montagnes sont morts de faim, "car les soldats ont brûlé les récoltes". Le ministère public présente 205 témoignages, soit de témoins directs, soit d'experts. Le procès se poursuivra jusqu'à ce que le dernier d'entre eux ait fait sa déposition.

La tragédie de Margarita Paz

Dictature au Guatemala
Cela fait déjà un quart de siècle que Margarita Paz doit vivre avec cette tragédie. Le 22 mars 1981, des paramilitaires ont assassiné son mari, un agriculteur indien de 19 ans. Margarita avait alors 20 ans, mais elle se souvient de cette journée comme si c'était hier. "Il est parti aux champs et m 'a dit : `Je reviens à midi. Il n'est jamais revenu. On l'a assassiné. Et je sais qui c'est. C'est un policier qui est maintenant chauffeur de Jeep. Ça me fait toujours mal quand je le vois. Ses enfants ont fait des études tandis que le mien, qui a aujourd'hui 23 ans, n'a jamais connu son papa. En 1982, l'armée a fait disparaître mon frère. Maintenant, je voudrais retrouver leurs deux corps et les enterrer."
Everilda Tudin Maximiliano cherche elle aussi des traces de son mari. "C'était le 8 mai 1981, il était 11 heures du soir, ils sont venus le chercher à la maison. Il s'est levé et a dit : Qu'est-ce qui se passe ? Ceux qui l'ont emmené m'ont dit : Ne vous inquiétez pas, on vous le ramène vivant, mais mon mari m'a crié : Adieu, adieu, à jamais, prends bien soin de mes enfants ! Je me suis retrouvée seule, enceinte, avec deux enfants de 2 ans et 3 ans. Je l'ai cherché partout, au fond des ravins, dans la montagne, dans les hôpitaux... Jusqu'ici, je n'ai trouvé aucune trace de lui. Je voudrais au moins récupérer son corps et l'enterrer dans un vrai cimetière. Parce que là où il doit être aujourd'hui, ce n'est pas un endroit normal."
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36 ans de guerre
■ La longue guerre civile guatémaltèque (1960-1996) a fait plus de 200 000 morts et disparus. Elle a débuté avec la naissance d'une guérilla d'extrême gauche opposée à la dictature militaire issue de la contre-révolution de 1954. Cette année-là, l'armée avait renversé, avec l'aide des Etats-Unis, le président Jacobo Arbenz. Celui-ci avait entrepris de redistribuer une partie des terres des grands propriétaires, et notamment celles appartenant à la compagnie américaine United Fruit. Durant plus de trente ans, dans un contexte politique émaillé de coups d'Etat militaires successifs, l'armée guatémaltèque et les escadrons de la mort ont mené une guerre féroce contre toutes les forces d'opposition ou supposées telles. Ils ont éliminé la plupart des leaders indiens et exterminé des communautés mayas entières. Le 29 décembre 1996, les accords de paix entre le gouvernement et l'Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG, fusion des différents mouvements de guérilla) ont mis fin au plus long conflit d'Amérique centrale. Mais le gouvernement n'a pour l'instant reconnu la responsabilité de l'Etat que dans un très petit nombre de massacres, d'exécutions et de disparitions. La plupart des responsables restent dans l'impunité.