Si vous aimez ce site ne bloquez pas l'affichage des publicités... Merci !

Vivre sous la dictature

Les derniers jours
de Kadhafi

Les dictateurs
du XXe siècle

Jeudi 20 octobre, huit mois après le début des émeutes et de leur répression à l'arme lourde, Syrte, la ville natale de Kadhafi, est tombé. C'était l'ultime bastion des loyalistes. Le dictateur s'y était réfugié avec ses fidèles à la fin août quand Tripoli, la capitale, était passé aux mains des des combattants qui avaient détruit son bunker. Il croyait encore en une contre-offensive qui l'aurait ramené au pouvoir. Muammar Kadhafi a été capturé alors qu'il tentait de fuir, puis il a été abattu.
Un long cauchemar de quarante-deux ans s'achève. Il aura fait des milliers de victimes.

Plus que douze autour du guide

Replié à Beni Oulid, à 170 kilomètres au sud de la capitale, Kadhafi a fait ses adieux à sa famille vers la fin du mois d'août. un convoi avec sa femme, sa fille et deux de ses fils, inutiles au combat, s'est glissé vers le sud pour atteindre la frontière algérienne. Se al-Islam, le fils le plus important, est resté sur place pour tenter d'organiser une résistance. Kadhafi, lui, est parti directement pour Syrte, escorté par Moatassem et sa garde prétorienne. « Ça faisait des mois qu'on lui disait d'abdiquer puis de quitter la Libye. Mais pas une seconde il n'a envisagé de partir.»
Caché dans des maisons banales de Syrie le groupe n'a plus aucune nouvelle de l'extérieur. Les hommes de Moatassem organisent la résistance tout autour, mais ne s'approchent jamais de Kadhafi. « Nous avions bien un téléphone satellite, mais on ne l'allumait pas, pour ne pas se faire repérer par les Américains.»
Dans la dernière maison, ils ne sont plus que douze autour de leur Guide. Quand le cuisinier est blessé par une roquette, ils se mettent à la popote à tour de rôle : rations de riz, macaronis. Rapidement, la nourriture vient à manquer. « El Kadhafi restait le maitre, mais dans la maison nous étions tous égaux », explique Mansour, racontant comment le groupe finit par ne se partager que du pain coupé d'eau sucrée. «Le Guide lisait le Coran et ne parlait presque plus» Pendant des semaines, Kadhafi reste convaincu qu'il peut rallier les hommes de sa tribu, les Kadhafa, et reprendre le pouvoir. Dans Syrte, ils sont encore environ 400 à contrôler le centre-ville. Mais, chaque jour, il en meurt une poignée. Chaque nuit, deux ou trois prennent la fuite. "Les Kadhafa nous ont lâchés. Ils partaient en voiture avec des femmes, en faisant semblant d'être des civils", se souvient Mansour.

Kadhafi attendait la mort

La mort de Kadhafi
Ce n'est que début octobre, lorsque les rebelles parvinrent enfin dans le centre de Syrte, que Kadhafi prit conscience de sa perle imminente. «A partir de là, ce fut fini, il attendait la mort.» Matassem refuse pourtant de mourir dos au mur. C'est lui qui convainc son père, jeudi matin, de monter dans le dernier convoi. Tiraillant sous le feu qui s'intensifie, la colonne parvient à faire quelques centaines de mètres après la frappe du drone. Ils coupent vers la grand-route à travers une prairie ensablée. Presque hors de Syrte, dans la banlieu de Mazrat Zafaran, à 5 kilomètres du centre-ville, ils tombent sur la position de la brigade du tigre. C'est une des unités les plus aguerries de Misrata, et les hommes clouent la caravane sous un déluge de feu. Le convoi forme alors le cercle pour protéger son chef. La bataille, d' une férocité extrême, dure jusqu'au milieu de la matinée. Tout autour, les rangées d'eucalyptus sont sectionnées à mi-hauteur. A court de munitions, les rebelles appellent en renfort une autre brigade dont les recrues viennent d' un faubourg pauvre de Misrata. Mal équipée, presque sans uniformes, cette seconde unité doit encercler puis ratisser la zone.
Il est près de 11 heures du matin quand les jets français de l'Otan interviennent. «Ils ont largué deux bombes au milieu de notre troupe. Ça a fait un carnage», se souvient Mansour Daw. Maintenant couché sur un matelas souillé, dans une maison de Misrata transformée en prison, le fidèle parmi les fidèles ale visage tuméfié de shrapnell, et plusieurs éclats dans le dos et le bras. « Comme nos voitures étaient chargées d'essence et de munitions, tout a brûlé »,explique le rescapé. A Mazrat Zafaran, on peut voir le large cratère laissé dans le sable par un des missiles français. Les carcasses retournées et calcinées d'une vingtaine de voitures s'entassent alentour. Des corps gisent encore dans certains véhicules, carbonises dans des positions atroces alors qu'ils tentaient de fuir. Un homme aux jambes arrachées a laissé une longue coulée de sang en rampant loin du brasier et des caisses de munitions en train d'exploser. Il a fini quelques mètres plus loin, les yeux écarquillés de douleur.

La mort de Kadhafi

La suite est ambiguë. « Il n'y avait presque plus de coups de feu à ce stade », affirme le commandant Omar Shebani, même si les autorités du Conseil national de transition ont ensuite déclaré que le tyran était certainement mort d'une balle perdue dans les derniers instants du combat. Mohamed Lahwek, qu'on voit sur nombre de vidéos essayant de protéger Kadhafi contre la foule enragée, déclare qu'il était encore semi conscient quand il l'a pris dans son pick-up. Ni lui ni ses hommes ne veulent expliquer les deux balles qu'il a reçues dans le poumon droit. Le regard un peu fuyant, ils affirment ne pas se souvenir des coups de poing et de pied qu'on voit pleuvoir sur Kadhafi dans une des vidéos qui circulent sous le manteau. Ni des mains arrachant des touffes de cheveux de la tête ensanglantée du dictateur à genoux, vomissant de gros caillots de sang. Ni d'un jeune rebelle qui affirme, dans une autre vidéo, avoir tiré à bout portant sur le prisonnier. «Il faut comprendre, ça fait quarante-deux ans qu'il est pire que le diable. Pour nous, ce n'est même plus un homme», explique Mohamed Lahwek, qui affirme pourtant l'avoir livré en vie à la première ambulance.

Vous me voulez-quoi ?

Blessé à la tête lors de l'explosion, Kadhafi saigne abondamment. Il tient debout mais ne peut plus courir. Son fils Moatassem et les derniers hommes valides l'abandonnent pour fuir à pied, talonnés par les rebelles de la brigade du tigre. Mansour Daw reste avec son maître.
«Je le soutenais par l'épaule et on s'est mis à marcher à travers les arbres.»
l n'y a plus avec le Guide que le chef de sa sécurité personnelle, et une poignée de gardes du corps. En marchant 140 pas en direction du nord depuis le site de la frappe Française, ils arrivent à découvert près d'une Large route surélevée.
« On voyait d'autres rebelles qui s'avançaient vers nous en tirant, alors j'ai fait entrer El Kadhafi dans le tunnel pour le mettre a l'abri.». Il s'agit en fait de deux grosses buses de drainage qui passent sous la route.
Mansour entre avec Kadhafi dans celle de droite « Mais c'était trop étroit pour nous deux, alors j'ai fait demi-tour pendant qu'il avançait à quatre pattes vers la sortie, de l'autre côté. » Après quarante-deux ans de pouvoir absolu, le dictateur libyen est maintenant seul. Comme un rat dans ces égouts d'où il prétendait, il y a quelques mois, déloger les rebelles.
Six rebelles s'approchent de la sortie des buses. « Honnêtement, je mourais de peur», raconte Nabil Darwish, 24 ans, mécanicien dans le civil. En s'approchant de la buse de droite, les hommes se font cribler de balles par le chef de la sécurité, qu'ils exécutent.
« Ensuite, j'ai vu qu'il y avait que quelqu'un qui ne tirait pas dans le tunnel de gauche, alors j'y suis allé », explique Omrane Shaabane, un étudiant en électricité de 21 ans. Le jeune homme s'enfonce dans le tunnel. C'est Muammar, c'est Muammar ! Je n'y croyais pas ,raconte Ahmed Ghazal, le vendeur de kebabs de 21 ans qui gardait l'entrée. Dans la pénombre, Ornrane Shaabane arrache tout de suite le pistolet que Kadhafi tenait, sans faire feu, dans la main droite. «Je l'ai tiré dehors par le col de sa veste.» A l'air libre, le groupe encore perplexe palpe le prisonnier. Comme Mansour Daw, ils disent que Kadhafi n'avait encore qu'une seule blessure sérieuse, à la tempe gauche, causée par des éclats.« Il saignait et n'avait plus l'air d'avoir toute sa tête», se souvient le chef du groupe des six, qui traîna ensuite Kadhafi jusqu'à sa voiture pour l'évacuer. Si les vidéos filmées par téléphones portables et vite diffusées sur Internet montrent des scènes de lynchage, Mohamed Lahwek et les autres affirment qu'ils ne l'ont pas commis. Sur les images, on devine que Kadhafi implore grâce. Mais ses seules paroles claires lors de sa capture (les six sont formels sur ce point) furent prononcées un peu plus tôt, en sortant du tunnel. «Il a cligné des yeux et nous a regardés, raconte Omrane Shaabane. II semblait paumé et nous a juste dit :«Ça va, ça va. Vous me voulez quoi? »
bas