L'exode en chemin de fer

Le gigantesque exode

L'exode de juin est une panique, d'abord manifeste dans les gares du chemin de fer, Montparnasse pour la Bretagne, Austerlitz et Lyon pour le Sud. L'affluence est telle le 11 juin que les gares doivent fermer leurs portes, pour éviter que la foule n'envahisse les voies, empêchant le départ des convois.
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e train est de la race odieuse des trains de marchandises pour les réfugiés. J'en suis toujours indignée : non pas que la paille remplace mal des banquettes et qu'il y ait une grande souffrance à s'étendre par terre, mais ce qui est cruel c'est que, le plus souvent, les portes à glissières se ferment de l'extérieur et ne peuvent pas être ouvertes par ceux qui sont dedans. Au départ, on ferme. Et c'est la prison, avec les compagnons de voyage avec qui on doit tout partager. [...]
Dans les gares, les employés craignent tellement de voir les trains se vider sur un quai déjà comble qu'ils n'ouvrent pas. Et on entend les gens qui frappent contre le wagon, comme font les chevaux.
Témoignage
Des wagons à bestiaux

Des wagons criblés de balles

L'exode par trains en France en mai 1940
L'exode, pendant la période qui va du 10 au 31 mai, demeure relativement organisé. Des trains circulent encore. Partout où se trouve l'armée, d'imposants stocks de ravitaillement sont entassés. Derrière la mouvante ligne de feu, qui n'a pas encore débordé la classique, l'éternelle ligne de feu de toutes les invasions allemandes, existe surtout un pays surpris, bousculé, mais plein de pitié pour ces réfugiés qui surgissent par milliers de wagons souvent criblés de balles, qui arrivent les pieds en sang, le visage hagard, les vêtements déchirés, qui racontent comment ils ont joué à cache-cache à l'abri d'un arbre avec les avions rugissants, qui commencent à rédiger enfin, pour les journaux locaux ou les murs des mairies, d'émouvantes annonces de recherches.

Les départs en chemin de fer

Les départs en chemin de fer de réfugiés  en mai et juin 1940
Du 8 au 13 juin, cent quatre-vingt-dix-huit rames de voyageurs, quatre-vingt-sept de marchandises avaient quitté Paris. Les conditions de transport étaient parfois atroces. On cite l'exemple d'une accompagnatrice enfermée avec cent enfants orphelins dans un wagon à bestiaux sans possibilité d'ouvrir les portes fermées de l'extérieur. Elle était partie le 10 juin.
La surcharge des wagons était toujours à la limite de l'insécurité, les gens voyageant entassés, assis dans les couloirs, les toilettes, les filets à bagages, les soufflets et jusque sur les marchepieds. Les déroutages étaient fréquents, en raison des attaques de la Luftwaffe sur les voies et les gares. On passait par Saint-Pierre-des-Corps pour se rendre à Montluçon, par Chartres pour gagner les villes du Sud-Ouest.
La pression de la foule dans les gares déchaînait la violence : un témoin raconte l'embarquement d'un journaliste japonais à la gare de Lyon, le 11 juin. En neuf heures d'attente, il avance seulement de trois cents mètres dans la queue interminable. « Des vieillards s'engueulent et se rouent de coups avec une haine bestiale, explique Foville. Les enfants hurlent [ils n'ont pas été tous évacués, et de loin], les femmes perdent connaissance. Des malades et des femmes enceintes tombent. Comme il n'y a plus d'ambulances, les agents les traînent à l'écart, les giflent et les arrosent d'eau, à l'ombre d'un parapluie. Le soleil est brûlant. La soif nous tourmente, mais il est impossible de sortir de la queue sans perdre sa place. Dans la foule un mot s'élève avec obstination, revient toujours, accusant je ne sais qui : "Trahison !" Les étrangers, les Juifs, les Anglais, les riches, les politiciens, les banques... »
L'importance des départs en chemin de fer, malgré les violences, les retards, les insuffisances, explique le chiffre très élevé de la population évacuée en un temps record : sur les trois millions d'habitants présents dans Paris vers le 10 mai, il ne restait dans la capitale, le 13 juin, que le tiers environ des habitants. La SNCF et ses agents avaient accompli des miracles pour entraîner hors des murs le plus grand nombre possible de réfugiés.

Le bombardement des gares

La S.N.C.F. fait et fera un prodigieux effort pour conduire jusqu'à un front, quotidiennement mouvant, les troupes que le commandement a pu rameuter. Elle fait et fera un non moins prodigieux effort pour évacuer la population prise de panique. Entre le 8 et le 13 juin veille du jour où les Allemands entrent à Paris, ce sont ainsi 198 trains de voyageurs, 37 trains de messageries utilisés par des réfugiés, 87 trains de marchandises qui s'éloigneront de la capitale dans la seule direction du Sud-Ouest.
Mais cette activité ne reste pas inconnue de l'ennemi. La supériorité de son aviation d'observation lui permet d'en mesurer toute l'importance. La supériorité de son aviation de bombardement, d'en contrarier au maximum le déroulement.
Les gares, situées assez souvent au coeur des villes, bourrées de troupes en transit, d'évacués hagards et las, avides d'atteindre ces havres, qui ne sont généralement que des pièges, mais où ils espèrent recevoir le pain et l'eau, le secours d'un médecin ou d'une parole charitable, les gares, avec leurs wagons de munitions, follement mêlés aux convois humains, sont des proies de choix et des lieux où la tragédie rencontre l'aliment nécessaire.
C'est ainsi que, le 17 juin, le bombardement de la gare de Rennes, où un train de munitions se trouve garé depuis un jour ou deux, près de plusieurs trains de réfugiés et de troupes, fera assez de victimes pour qu'un mois plus tard des relents de chair brûlée empuantissent encore la ville.
Aussi arrivera-t-il que des fuyards préfèrent l'incertitude de la route faite à pied à la mort anonyme dans l'écrasement et l'embrasement des gares. Le 13 mai, des réfugiés, qui viennent de Sedan, renoncent à prendre le train qui a l'air de les attendre en gare de Lonny. Alors qu'ils arrivent et se réjouissent déjà, ils voient surgir les Stukas qui piquent, bombardent, mitraillent. « Les yeux au ras du sol aperçoivent les petits nuages de poussière que soulève chaque balle dans le champ voisin. Une odeur de soufre se répand dans l'air. Les minutes passent, semblent des heures. » Le train, par miracle, est intact, mais voilà des hommes et des femmes soudain dégoûtés de ce moyen de locomotion.
réfugiés en gare de Paris en mai 1940

Une partie de plaisir

Nicole n'a que 5 ans lorsque, avec sa mère et sa soeur de 8 ans, elle réussit à prendre un train qui arrive de Lille et qui regorge de civils et de soldats étroitement mêlés. Dix par compartiment. Et, d'abord, le voyage est une partie de plaisir pour les enfants qui se voient lancés dans un monde neuf où tout ce qui était interdit hier devient possible, admis, autorisé. Être assise sur les genoux d'un soldat inconnu, boire au quart du vin coupé d'eau, passer la nuit, entre Arras et Amiens, dans un train immobile en entendant les grandes personnes prononcer ces mots qui n'ont pas encore de sens « alerte, bombardement, mort », se laver, au petit matin, à l'aide d'un gant de toilette humecté d'eau de Cologne, franchir dans les couloirs le barrage épais des valises et des corps, courir le long de la voie parmi tous ces gens qui mangent, boivent, s'embrassent, discutent avec les rares employés à qui l'on voudrait arracher des nouvelles mais qui ne savent rien, regarder, à l'horizon, monter la fumée des villes qui brûlent...
Oui, une partie de plaisir brutalement interrompue en gare d'Arras par un sévère bombardement. Alors les petites filles feront comme toutes les petites filles de l'exode. Elles se blottiront sous leur mère qui les couvre de son mieux, leur parle, leur fait réciter leur acte de contrition. Lorsqu'elles se relèvent, lorsque cesse le vacarme des explosions, elles découvrent un monde étrange, insoupçonnable : une gare qui flambe, des rails tordus, des wagons à travers lesquels on voit le jour, et partout des morts, des morceaux d'hommes, de femmes, d'enfants, poupées grotesques, dans leur dernière pose, celle qu'a donnée au corps indécent et désarticulé l'explosion, les éclats ou le feu.
Sur l'escalier menant aux quais de la gare, gens et bagages s'amoncellent. Ils jonchent le sol, par grappes, aussi bien sur les escaliers qu'au long des murs. La tête d'une jeune femme, à la chevelure défaite, repose sur les genoux d'une vieille, un bébé dort, son maillot est attaché avec des ficelles autour de son petit corps meurtri. Un petit chien dans une corbeille, seul son museau en dépasse pour qu'il puisse respireras.
Témoignage
Vers les quais de la gare