La drame belge

Histoire d'une défaite

L'élimination de la Pologne, la non-intervention alliée
sur le front occidental puis la concentration des forces du Reich face à la Hollande. à la Belgique et au Luxembourg ne peuvent laisser aucun doute sur les intentions de Hitler.
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Un sourd mécontentement règne

armée belge au début de la deuxième guerre mondiale
Depuis septembre 1939, la Belgique a assuré au mieux son dispositif militaire. Ses efforts n'ont cependant pas encore complètement abouti. Les fortifications d'Anvers ne sont pas achevées, la ligne K. W. (position de la Dyle) laisse un trou de 30 kilomètres entre Gembloux et Namur, insuffisamment colmaté par des « Cointet », les travaux de la tête de pont de Gand sont à peine ébauchés. En outre, 600 000 hommes sont sous les armes, 100 000 autres à l'instruction dans les dépôts : dix-huit divisions d'infanterie, dont six de 2e réserve, deux divisions de chasseurs ardennais partiellement motorisées ayant un très haut moral mais sans artillerie propre, un corps de cavalerie motorisé à deux divisions et une brigade de cavalerie portés.
Le 9 mai, douze divisions occupent le canal Albert, de Liège à Anvers; la position fortifiée de Liège est tenue par le 3e corps d'armée, deux divisions gardent les ponts de la Meuse, de Liège à la frontière française, le groupement Keyaerts couvre les Ardennes, quatre divisions sont en réserve à l'intérieur. La « drôle de guerre » qui se prolonge depuis huit mois, plusieurs alertes successives restées sans lendemain ont émoussé le moral des cadres et de la troupe. Un sourd mécontentement règne, lié étroitement au problème du recrutement régional. Les unités francophones, aux marches du pays, sont nuit et jour sur le « qui-vive » alors que les régiments flamands cantonnent à proximité de leurs villages. Le haut commandement lui-même est divisé.
Le roi se réfère, pour les questions militaires, à son conseiller occulte, le général Van Overstraeten, au service du Palais depuis 1917, et se soucie peu des avis de l'état-major général, voire du ministre de la Défense, le général Denis.
Le 9 mai, dans l'après-midi, les permissions sont rétablies et les unités se vident d'un tiers de leurs effectifs. A la nuit tombée, des avertissements pressants dénoncent l'attaque allemande comme imminente. Ils émanent de l'attaché militaire hollandais à Berlin, le colonel Sas, prévenu par son ami le général Oster, bras droit de l'amiral Çanaris, et du colonel Goethals, attaché militaire belge. Des avis semblables sont communiqués par la Suisse. On rameute en hâte les permissionnaires, on boucle le service de sécurité, on amorce les charges d'explosifs aux ouvrages et aux ponts dans une certaine confusion. A 4 h 35, le 10 mai, c'est l'agression dans toute sa violence.

La capture du fort Eben Emael

La capture du fort Eben Emael en mai 1940
La vaste plaine par laquelle en 1914 les Allemands avaient envahi la Belgique était gardée, en 1940, par une suite de forts ultra-modernes. L'ouvrage le plus imposant, le fort d'Eben Emael, était situé au nord de Liège, près du confluent du canal Albert et de la Meuse. Les 1500 hommes qui le défendaient avaient été mis en état d'alerte dans la nuit du 9 mai. Ils attendaient l'aube dans la sécurité que peut inspirer une carapace de milliers de tonnes de terre et de béton. Ils vérifiaient leurs pièces d'artillerie un matériel à fonctionnement électrique comprenant deux canons de 120 mm et seize de 75 — dissimulées derrière des embrasures soigneusement camouflées et blindées, et orientées de manière à faucher l'ennemi, d'où qu'il vînt.
D'où qu'il vînt, sauf du ciel! Le 10 mai à 4h.30 du matin, 42 transports de troupes Junkers, remorquant chacun un planeur chargé de combattants rompus au maniement d'armes spéciales, décollèrent de Cologne. Leurs objectifs étaient le fort d'Eben Emael et les ponts du canal Albert. Cinq minutes avant l'aube, c'est-à-dire cinq minutes avant le déclenchement de l'offensive générale, les 42 Junkers approchèrent silencieusement de la plaine belge, volant au ras de la ligne fortifiée qui en défendait l'accès et qui, dans l'esprit des Alliés, pouvait tenir des jours, voire des semaines.
Un groupe de neuf planeurs s'abattit littéralement sur le fort. Une petite section de 80 hommes commandée par un sergent sauta prestement à terre. Effectuant une série d'opérations répétées depuis des mois, ils bourrèrent d'explosifs les meurtrières, les puits d'aération, toutes les ouvertures qu'ils trouvèrent. Ils s'attaquèrent aux tourelles avec des explosifs spéciaux à charge creuse — remarquable innovation suggérée par Hitler en personne — qui, perçant le blindage et le béton, projetaient des flammes à l'intérieur, tuaient les servants, faisaient voler en éclats les pièces d'artillerie et répandaient une fumée irrespirable dans les nombreuses galeries souterraines.
Introduisant leurs lance-flammes dans les embrasures, les assaillants créèrent d'autres foyers d'incendie. Une heure après l'aube, le fort d'Eben Emael n'était plus qu'un colosse aveugle, incapable d'endiguer le flot de l'invasion. Ses défenseurs tinrent cependant aussi longtemps qu'ils le purent mais le 11 à midi, encerclés sur terre, écrasés par les Stuka, ils déposèrent les armes.
Pendant ce temps, les autres planeurs s'étaient posés sur la rive ouest du canal Albert. Il en sortit environ 300 hommes qui se ruèrent à l'assaut des trois ponts principaux. Les Belges purent en faire sauter un, mais les deux autres étaient intacts lorsque les assaillants s'en emparèrent. Tandis qu'ils s'accrochaient à ce point d'appui, des avions de transport parachutaient des renforts; modestes d'ailleurs — 500 hommes environ car le gros des troupes parachutistes se trouvait engagé en Hollande. Pour donner le change, le général Student, à la tête de ces formations, eut l'idée de lâcher aussi des mannequins porteurs de charges explosives qui produisirent, en touchant le sol, un effet stupéfiant. Dans le même temps les Stuka et les Panzers du groupe d'armées B, que commandait le général von Bock, accouraient pour appuyer les premiers attaquants sur la plaine belge.

Les alliés tombent dans le piège

Les Alliés avaient prévu cette attaque. Ils firent avancer les unités stationnées dans le Nord de la France de manière à assurer leur jonction avec l'armée belge pour former un front continu le long de la Dyle et de la Meuse. L'opération se déroula d'abord sans encombre. A l'heure dite, 22 divisions françaises et britanniques se mirent en route pour rejoindre les positions qu'on leur avait assignées auprès des 15 divisions belges placées devant Anvers et Bruxelles. Elles traversèrent les agglomérations belges sous les vivats et les fleurs. Au cours des premières escarmouches qui les opposèrent aux troupes du général von Bock, au nord de la Belgique, les Alliés restèrent sans peine maîtres du terrain.
Néanmoins, certains officiers se sentaient inquiets et se posaient des questions. Les armées alliées n'étaient-elles pas le jouet d'une manoeuvre allemande? Hitler, qui les voyait progresser vers le nord, connaissait la réponse. Il avait bel et bien gagné son pari. « Lorsque j'appris que l'ennemi avançait sur toute la longueur du front, devait-il plus tard confier à son entourage, j'en aurais pleuré de joie. Les Alliés étaient tombés en plein dans le piège! Il fallait absolument qu'ils croient que nous n'avions rien changé à notre ancien plan, et ils l'avaient cru!»
De fait, les Alliés ignoraient totalement que les Allemands préparaient activement une percée décisive au sud de la Belgique, à travers les Ardennes. C'était la fameuse opération combinée, aviation-blindés-infanterie, que Manstein avait suggérée à Hitler, et dont l'exécution revenait au groupe d'armées A, commandé par Rundstedt.
Les Français s'attendaient certes à une intervention dans ce secteur. Ils pensaient toutefois qu'il faudrait aux Allemands au moins neuf ou dix jours pour traverser les ravins boisés des Ardennes avant d'arriver sur la Meuse, dont la défense, du côté, français, ne présentait pas de difficultés. On aurait largement le temps, en cas de besoin, d'y amener des renforts. Aussi les Français n'envoyèrent-ils dans les Ardennes que de légères formations motorisées pour appuyer la défense belge, et gardèrent-ils la Meuse avec les IIe et IXe armées, composées en majeure partie d'unités de second ordre, moins bien entraînées et plus médiocrement équipées que les divisions qui avançaient plus au nord, en Belgique.
Dans la nuit du 9 au 10 mai, les premiers blindés allemands pénétrèrent dans les Ardennes en évitant les champs de mines posés à la frontière germano-belge. Ils n'eurent aucune peine à faire reculer la défense franco-belge, de sorte que le 12 mai trois divisions blindées de la Wehrmacht étaient déjà sur la Meuse, entre Dinant et Sedan.
Mai 1940, les français en Belgique