Le moral
des soldats français

La drôle de guerre

La vie quotidienne du soldat, pendant la « drôle de guerre » ne fut pas exempte de difficultés de
toutes sortes et de petites misères qui posèrent des problèmes inattendus. Sur bien des points, on s'en était strictement tenu aux solutions adoptées pendant la Première Guerre mondiale.
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Les Britanniques, tirés à quatre épingles, étaient effarés de la tenue négligée, pour ne pas dire franchement débraillée, des soldats français. Invité à une prise d'armes par le général Corap, qui commandait la IXe armée française, le général Brooke, qui commandait le Ile corps expéditionnaire britannique, fit les remarques suivantes:
« J'ai rarement vu quelque chose d'aussi négligé, d'aussi peu présentable. Des hommes non rasés, des chevaux non pansés, des uniformes et des harnachements mal ajustés, des véhicules sales, des individus sans amour-propre et sans esprit de corps. Ce qui m'a le plus frappé... c'est ce qu'on lisait sur le visage de ces soldats: le mécontentement et l'indiscipline; lorsqu'on leur commanda tête gauche, aucun d'eux pour ainsi dire ne prit la peine d'exécuter l'ordre
Témoignage
La tenue débraillée des soldats français !

La préparation au combat

L'entraînement du soldat français pendant la drôle de guerre en 1939 et 1940
L'entraînement au combat était négligé. Le général Grandsard, qui commandait le 10e corps à Sedan, constate qu' « on devait, à l'origine, consacrer les deux tiers du temps aux travaux et un tiers à l'instruction, mais, en raison de l'ampleur des travaux à effectuer et du mauvais temps, on arriva rapidement au régime de la demi-journée d'instruction par semaine ».
Le général Menu parle du « désintéressement du haut commandement en ce qui concernait la préparation au combat » et il ajoute : « Il était connu, en mars 1940, que de nombreuses unités d'infanterie n'avaient jamais tiré ni fait usage de l'armement antichars et antiaérien. »
« Un jour, dans le Nord, rapporte André Maurois, je demandai à un général pourquoi il n'entraînait pas ses hommes aux exercices de chars d'assaut lançant des flammes et des avions bombardant en piqué, et je lui dis : S'ils font connaissance pour la première fois sur le champ de bataille avec ces méthodes de combat, ils auront une peur épouvantable ! Mais s'ils y sont habitués, la première impression sera vite surmontée. — Vous avez entièrement raison, me répondit le général, j'ai fait à plusieurs reprises cette suggestion. On m'a répondu chaque fois que de tels exercices abîmeraient les récoltes. »
A l'ouest de Sedan, le commandement avait bien fait établir un réseau barbelé sur la rive de la Meuse, mais avec la recommandation de laisser d'assez larges brèches pour permettre aux vaches d'aller boire à la rivière.
M. Sarras-Bournet, inspecteur général des services administratifs, constata, dans ses nombreux voyages aux armées, « l'insuffisance manifeste de la préparation au combat ». « Au lieu de faire de l'instruction à outrance, on cherchait surtout à distraire les soldats et les cadres ; et, la guerre s'éternisant, on en arriva à penser qu'elle finirait sans batailles, par un arrangement diplomatique. En mars 1940, comme pour confirmer cette espérance, le commandement orienta l'armée vers l'agriculture. On planta des rosiers sur les glacis de la ligne Maginot, on créa des potagers, des poulaillers, des porcheries. Pour les labours de printemps, on détacha dans des fermes, parfois à vingt kilomètres de leur cantonnement, des hommes, qui oublièrent qu'ils étaient soldats et qu'il y avait la guerre. »

Le moral des soldats pendant la drôle de guerre

Le moral des soldats pendant la drôle de guerre en 1939 et 1940
Dans les états-majors, les bureaux annexes se multiplièrent pour le fonctionnement des Foyers du soldat, du Vin chaud du soldat, du Théâtre aux armées, des compétitions sportives, et certains généraux y veillèrent avec une sollicitude particulière.
Le 9 mai 1940, la veille même du déclenchement de la ruée des panzers de Guderian sur Sedan, l'état-major de la IIe armée (l'armée de Sedan) avait organisé un transport de son personnel de Senuc à Vouziers pour assister à une représentation du Théâtre aux armées, et le commandant de l'armée lui-même, le général Huntziger, était allé, dans l'après-midi, inaugurer un Foyer du soldat.
Mais dans ces Foyers, il fallait veiller jalousement au moral des soldats et ne pas projeter devant eux de « mauvais films » ! Dans son remarquable « Historique du 165e régiment d'artillerie à pied », M. Pierre Waline, agrégé de l'Université, écrit à ce sujet :
« Une circulaire du 2e bureau de l'armée rappelait que tous les films présentés à la troupe dans les Foyers du soldat devaient être munis d'un visa de censure établi par le Service cinématographique de l'armée. Et cette circulaire donnait, en annexe, une liste de 123 films interdits, liste qui nous plongea dans des abîmes de réflexion ! Elle condamnait notamment les films suivants : le Cavalier Lafleur - les Gaietés de l'escadron - les Dégourdis de la Onzième - la Garnison amoureuse - Mademoiselle Spahi - la Margot du régiment - Trois Artilleurs au pensionnat - le Train de 8 h 47 , etc. »
Tous ces films « comique-troupier » classiques étaient jugés attentatoires au moral de la troupe et nuisibles à sa farouche préparation à la bataille !
Dans le domaine de la distraction, les sports jouaient un grand rôle. Le ballon rond ou ovale remplaçait la grenade. Roland Dorgelès écrit : « Un général me dit que le désoeuvrement ne valait rien à ses hommes. Allait-il ordonner des manoeuvres? Non. Il me dit : « Je vais multiplier les équipes de football et c'est moi qui paierai les ballons. »
Mais les soldats n'étaient pas dupes ! « Qu'on nous renvoie chez nous puisqu'on ne sert à rien, disaient-ils. Nous reviendrons quand on aura besoin de nous. »

Les affectations spéciales

Beaucoup de soldats étaient renvoyés par le jeu des affectations spéciales. La mobilisation avait été faite sans tenir grand compte des « affectations spéciales » d'ouvriers et techniciens nécessaires aux fabrications d'armement. « La mobilisation commencée, écrit le général Gamelin, nous n'avons pu que dire aux industriels : C'est trop tard ! On renverra vos ouvriers. »
Mais tous ces renvois, qui, dans le seul automne de 1939, atteindront le chiffre de l35000 affectés spéciaux, désorganisaient plus ou moins les unités et surtout provoquaient, chez ceux qui restaient, le plus mauvais effet.
Le nombre des affectations spéciales augmentait constamment. Des milliers de jeunes gens revenaient dans les usines, cependant que des hommes d'âge mûr croupissaient dans les dépôts. Le froid d'un hiver rude accélérait encore la décomposition de l'armée française. »
Un commandant de groupe d'artillerie, le chef d'escadron Rincazaux, écrit dans ses Souvenirs : « Dès octobre 1939, se produisent les abus scandaleux des rappels d'affectés spéciaux. Le piston jouait à plein. Chaque fois qu'un permissionnaire revenait, je recevais quelques jours plus tard une lettre de son député ou du maire de sa commune déclarant qu'il était indispensable pour la culture des terres. Une circulaire d'avril 1940 prescrivit même de renvoyer dans leurs foyers les officiers pères de cinq enfants au moins. Certains refusèrent de quitter leur poste. »
soldats français en 1939-1940

Propagande et alcoolisme

Propagande allemande pendant la drôle de guerre en 1939 et 1940
Dans cette ambiance, le terrain était favorable à l'action psychologique de l'ennemi. L'historien allemand Walter Gorlitz écrit :
On avait créé des unités de propagande pour saper le moral des Français. Cette forme de guerre était issue d'une idée chère à Hitler. C'était son enfant spirituel et personnel. Nos avions lançaient sur les lignes françaises des tracts reproduisant le discours de Molotov du 31 octobre qui rejetait la responsabilité de la guerre sur les Britanniques et les capitalistes. Un flot de journaux, tracts, lettres, papillons était déversé sur les soldats français, demandant si cela valait la peine de mourir pour Dantzig. »
A cette propagande par tracts s'ajoutait la propagande par haut-parleurs et par panneaux, grands calicots tendus en première ligne. Des équipes spéciales traversaient même le Rhin en barque pour aller livrer à domicile à nos soldats les discours du Führer, ce qui donnait l'occasion de trinquer avec eux.
En novembre 1939, passant la nuit en première ligne, Roland Dorgelès fut réveillé par une voix monstrueuse qui, par haut-parleur, criait : « Français, sortez de vos trous ! »
Puis, raconte Dorgelès, « l'orateur allemand emplit la vallée de son prêche hurlant : Ne transformez pas la France en champ de » bataille ! N'écoutez pas la perfide Angleterre ! Vous avez froid aux pieds dans cette boue !... Maintenant, camarades français, pour vous remercier de votre attention, nous allons vous faire entendre quelques morceaux que vous aimez bien ! Ébahis, nos soldats écoutèrent alors Tino Rossi, puis Lucienne Boyer qui leur parla d'amour ! »
« Un matin, ajoute Dorgelès, on vit sur les toits de Habkirchen, sur l'autre rive de la Blies, une large banderole sur laquelle on lisait : LA FRANCE AUX FRANÇAIS ! »
Enfin, nos troupes au repos mijotaient dans des cantonnements surpeuplés, bourrés de civils et de militaires qui, le soir, emplissaient les bistrots, écoutant Ferdonnet, le « traître de Stuttgart », qui trouvait là une audience extraordinaire.
Comme devait le constater le général Grandsard, « les régiments étaient trop mêlés à la population des villages où pullulaient les espions pour ne pas être influencés par ces illusions : victoire sans batailles, etc. Ils étaient trop baignés dans une ambiance de guerre pour rire pour ne pas être décontenancés le jour où commencerait brutalement la vraie guerre ».
A ce « mijotement » s'ajoutait parfois l'alcoolisme. « Le spectacle de nos hommes dans les gares et les trains, écrit le général Ruby, n'était pas toujours réconfortant. L'ivrognerie avait fait immédiatement son apparition et, dans les grandes gares, on dut aménager des salles spéciales, baptisées pudiquement salles de déséthylisation ».
Mais le haut commandement s'inquiétait des progrès de l'alcoolisme. M. Pierre Waline écrit dans son Historique : « Une circulaire venant tout droit du G.Q.G. traitait des dangers de l'alcool. On y lisait : Sans doute, l'alcool possède une certaine valeur énergétique, surtout appréciable par temps froid. Sans doute aussi il dispense une excitation factice ; mais, bien plus encore, il est générateur de maladresse, d'impulsivité, inhibiteur du vrai sang-froid, si indispensable au combattant. Est-il possible qu'un major général écrive de telles platitudes en un style aussi pompier ? »