Combats aériens
au dessus de la Manche

L'Angleterre aux abois

Au début, la bataille dans le ciel de la Manche parut se dérouler exactement comme le souhaitaient les Allemands. Au quartier général de la Luftwaffe, on se frottait les mains, et l'ordre fut donné d'intensifier les attaques pendant que les Anglais en étaient encore à faire l'apprentissage des sinistres réalités du combat aérien.
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Etre le premier à repérer l'adversaire

secourir les aviateurs anglais pendant la bataille d'Angleterre
Au cours des affrontements d'une violence croissante entre la R.A.F. et la Luftwaffe au-dessus de la Manche, au milieu de juillet 1940, on ne pouvait douter de quel côté au début se trouvaient les pilotes les plus expérimentés. Les Allemands étaient rompus au combat aérien depuis la guerre civile espagnole. Ils avaient acquis leur efficacité non par des exercices d'entraînement, mais dans l'arène du véritable combat, où l'homme a le choix entre la rapidité et la mort. Les pilotes qui affrontaient la R.A.F. comptaient dans leurs rangs un grand nombre de vétérans de la légion Condor, l'unité aérienne qui avait contribué à la victoire du général Franco. Ils savaient exploiter à fond le ciel, le soleil, les faiblesses de l'ennemi, et user de leur sens accompli de la discipline et de la coordination. Comme techniciens, ils étaient incomparables, du moins à ce moment-là, et les Anglais furent très vite conscients du fait.
A cet égard, la chasse anglaise avait parfois un retard qui lui était fatal. Les pilotes britanniques volaient en effet d'une façon qui limitait leur visibilité et leurs mouvements: en formations serrées, aile contre aile, ce qui était assez spectaculaire dans les démonstrations aériennes, mais sans grande efficacité dans le combat. Les pilotes britanniques se montraient si attentifs à rester en formation et à ne pas se gêner mutuellement qu'ils pouvaient à peine regarder autour d'eux pour découvrir l'ennemi; et, lorsque celui-ci surgissait, ils manquaient de l'espace nécessaire pour manoeuvrer.
En Espagne, les chasseurs allemands avaient, au contraire, appris à voler en formations lâches. Les unités patrouillaient et traquaient l'ennemi à des altitudes différentes, laissant beaucoup d'espace entre les appareils. Chaque pilote pouvait guetter l'adversaire sans se soucier de la proximité de l'aile du voisin. Il avait toute liberté de manoeuvre et d'attaque, et jouissait en outre d'une plus grande visibilité. Ses camarades étaient néanmoins suffisamment proches pour qu'il pût bénéficier de la protection de son unité.
Aussi la R.A.F. fut-elle mise à rude épreuve, lors de ses premières rencontres avec la Luftwaffe. En dix jours de combats, dont le premier réellement important eut lieu le 10 juillet au-dessus de «Hellfire Corner», près de Douvres, elle perdit 50 chasseurs, ce qui créa un vide critique en raison de l'ampleur que prenaient les opérations. Il est vrai que la R.A.F. abattit 92 avions allemands durant la même période mais, sur ce nombre, 28 seulement étaient des Messerschmitt, ces précieux et redoutables avions de chasse.
Six pilotes de la R.A.F. furent tués le 20 juillet—jamais encore les pertes n'avaient été aussi élevées —, mais d'autres réussirent à s'extraire de leur cockpit et à sauter en parachute dans la Manche. Un certain nombre de pilotes allemands finirent également dans la mer, et une compétition s'engagea entre les deux camps pour récupérer les hommes abattus. Pour la R.A.F., les pilotes comptaient plus que les avions car ils étaient encore plus rares; de même, pour la Luftwaffe. Au surplus, en laisser un se noyer, alors qu'il était possible de le sauver, eût été moralement préjudiciable.
Pour effectuer le sauvetage de leurs pilotes, comme pour capturer ceux de la R.A.F., les Allemands utilisaient des hydravions blancs portant la marque de la Croix-Rouge internationale. Comme ces appareils volaient fréquemment et témérairement en plein combat aérien pour amerrir et récupérer les pilotes, un Spitfire finit par atteindre l'un d'eux. Le ministère de l'Air britannique saisit cette occasion pour annoncer que tout «avion ambulance», avec ou sans identification de la Croix-Rouge, serait abattu s'il s'aventurait dans la zone de combat. Les Anglais justifièrent cette mesure en affirmant que l'ennemi violait les conventions de la Croix-Rouge en utilisant des avions de secours pour repérer les mouvements des convois britanniques. En réalité, ils craignaient que ces appareils n'en vinssent à sauver trop de pilotes allemands et, surtout, à capturer les pilotes de la R.A.F. abattus par la Luftwaffe.
A cette époque, la R.A.F. ne disposait que de vedettes à moteur pour récupérer ses hommes. Ces embarcations recevaient le concours d'un certain nombre de petits bâtiments, notamment des bateaux de pêche attachés aux ports de la Manche. Si ces navires prenaient des risques considérables pour secourir les aviateurs anglais (haut), ils étaient néanmoins réputés pour laisser les Allemands se noyer.

Des gladiateurs des temps modernes

Duel aérien au dessus de la Manche en 1940
En peu de jours, les pilotes anglais renoncèrent aux formations serrées et essayèrent une nouvelle tactique, reprenant à leur compte plusieurs méthodes de la Luftwaffe. Finalement, la R.A.F. commença à voler en formation dite à «quatre doigts», un avion se trouvant à l'extrémité de chacun des doigts écartés d'une main imaginaire. Cette technique mit fin à la rigidité des formations antérieures et renforça les chances de survie des Anglais face aux Allemands.
Pendant les derniers jours de juillet, ce qui se passa au-dessus de la Manche et de l'Angleterre prit l'aspect d'une lutte entre gladiateurs des temps modernes: lequel de ces combattants professionnels arriverait à maîtriser l'adversaire? Les navires britanniques qui s'efforçaient de franchir le Pas-de-Calais, de même que les Stuka qui tentaient de les attaquer avant qu'ils ne fussent hors de portée ou sous la protection de l'artillerie antiaérienne n'étaient, en un certain sens, que de simples pions sur l'échiquier.
Tandis que les navires attiraient les Stuka, les Spitfire et les Hurricane fondaient sur ces bombardiers lents, ce qu'attendaient d'ailleurs les Me-109 du colonel Fink, à quelques centaines de mètres au-dessus. Ils plongeaient, attaquant par surprise les chasseurs de la R.A.F., alors que ceux-ci étaient occupés avec les Stuka. C'est ainsi que débutèrent les affrontements entre les avions de chasse, pièces maîtresses du jeu. De l'issue de ces combats allait dépendre la phase suivante de la guerre.
Dans ces luttes spectaculaires qui laissaient dans le ciel des bandes de condensation, le pilote maladroit ou distrait était vite éliminé. Pour pouvoir prolonger la durée des combats au-dessus de la Manche, la Luftwaffe jeta des bimoteurs Me-110 dans la bataille, mais le manque de maniabilité de ces appareils en faisait des proies faciles. Après avoir éprouvé de lourdes pertes, les Me-110 tentèrent de mieux se protéger contre la chasse britannique en volant en formations circulaires. Cette tactique rappelait à certains combattants les cercles que les Boers avaient coutume de former contre les Zoulous d'Afrique du Sud, ou la façon dont les caravanes paraient aux attaques des Indiens dans l'Ouest américain. Elle échoua. En cherchant à se protéger mutuellement, les Me-110 renonçaient à leur mission essentielle (protéger les bombardiers de la Luftwaffe) et devenaient, en outre, plus vulnérables. Souvent, les pilotes de la R.A.F. réussissaient à atteindre deux ou trois Me-110 d'un coup.
La R.A.F. avait elle aussi des difficultés, en particulier avec le chasseur biplace, le Defiant. Les Allemands ne tardèrent pas à s'apercevoir que, contrairement au Hurricane auquel il ressemblait, le Defiant n'était pas armé à l'avant. Ses mitrailleuses étaient orientées vers l'arrière. Dès lors, le chasseur biplace perdit pratiquement toute efficacité. Le 19 juillet, neuf de ces appareils décollèrent de Hawkinge, aérodrome de première ligne situé en bordure de la Manche, et furent attaqués par 20 Me-109 qui sortaient du soleil. Presque instantanément, cinq Defiant s'abîmèrent dans les flots. Un sixième réussit à atteindre Douvres où il s'écrasa en flammes. Les Hurricane du 111 Group se lancèrent au secours des trois appareils rescapés, abattirent un Me-109 et réussirent à tenir les autres à distance jusqu'au moment où, à court de carburant, ceux-ci durent rentrer en France.
A ce stade de la bataille, la plupart des pilotes des deux camps restaient en état d'alerte plus de douze heures par jour, attendant l'ordre de décoller. Les formations de la R.A.F., dans les zones de combat proches de la Manche, celles du Kent, du Sussex et du Hampshire effectuaient jusqu'à quatre sorties par jour, volant chaque fois pendant une heure et demie. Les groupes de chasse et de bombardiers de la Luftwaffe n'étaient pas, pour le moment, astreintes au même rythme, mais trois sorties par jour pour les chasseurs et deux pour les pilotes de Stuka n'avaient rien d'inhabituel.
Le combat aérien, c'est-à-dire le moment le plus périlleux de la sortie, durait rarement plus de dix à quinze minutes. Les batailles étaient fréquemment visibles de chaque côté de la Manche. Les soldats allemands les observaient depuis les falaises qui vont de Calais à Boulogne. Les civils anglais en faisaient autant depuis celles de Douvres; ceux qui n'y étaient pas pouvaient les suivre grâce aux commentaires de la B.B.C.

L'astuce de l'as Allemand Galland

Du côté allemand, l'optimisme régnait; la stratégie de Goering paraissait être la bonne. Les spécialistes du service de renseignements du chef de la Luftwaffe lui répétaient sans cesse que le commandement de la R.A.F. lançait tous les chasseurs disponibles dans la bataille de la Manche pour tenter désespérément de repousser les messagers de l'invasion. Pour le cas, assez peu vraisemblable, où les Anglais auraient des réserves ignorées, Goering encouragea les maréchaux Kesselring et Sperrle à mettre tout en oeuvre pour attirer le maximum d'appareils de la R.A.F. dans le ciel. En plus des opérations de routine, on adopta une nouvelle tactique destinée à entraîner les chasseurs de la R.A.F. jusqu'à la côte française, où les Me-109 les attendaient pour fondre sur eux.
Galland usait volontiers d'un stratagème pour attirer les pilotes anglais, même les plus expérimentés, dans des manoeuvres imprudentes.
« ce moment-là, j'avais un certain nombre de nouveaux pilotes à former, devait-il dire plus tard. Je voulais leur donner rapidement le baptême du feu et leur insuffler, en même temps, de l'assurance en leur offrant une victoire. »
Galland survolait la Manche, seul dans son Me-109. Dès qu'il apercevait une patrouille anglaise, il évoluait dans ses parages, mais juste hors de portée, jusqu'au moment où l'un
des appareils se séparait de son groupe pour attaquer. Il faisait alors immédiatement demi-tour en direction de la France, tout en restant à distance respectueuse de ses poursuivants. Simultanément, il envoyait un message radio à deux de ses jeunes pilotes qui avaient pris l'air et attendaient impatiemment au-dessus de la côte française.
D'après Galland, « dans bien des cas, l'Anglais ne pouvait pas résister à la tentation. Selon toute évidence, il croyait que je ne l'avais pas vu et que, de ce fait, je n'essayais pas de lui échapper. Il persistait dans l'espoir que la mise à mort serait facile, et tombait dans le piège tendu par mes hommes. »
C'est ainsi que, par deux fois, Alan Deere, l'un des plus brillants pilotes de Dowding, perdit son Spitfire et frôla la mort. Il poursuivit un Me-109 jusqu'à la côte opposée de la Manche, et comprit seulement qu'il avait été dupé en voyant le pilote ennemi « mettre son avion pratiquement à la verticale et piquer sur l'aérodrome que je reconnus alors,
dit-il, comme étant celui de Calais-Marck», l'une des principales bases de chasseurs de la Luftwaffe. Deux autres Me-109 tentèrent immédiatement de lui couper la retraite, alors qu'il rentrait «au bercail à plein gaz en rasant l'eau et en [se] traitant de véritable idiot
».
Deere ne dut son salut qu'à sa parfaite maîtrise et à sa grande expérience du combat. Il fonçait vers l'Angleterre, escorté par les deux chasseurs qui l'attaquaient de chaque
côté à tour de rôle. Il les obligeait à s'écarter en se retournant brusquement tantôt vers l'un, tantôt vers l'autre, reprenant sa direction pendant qu'ils se reformaient. Il était en vue des falaises de Douvres quand l'un des Me-109 toucha son tableau de bord, son cockpit et son réservoir. Sa montre fut également arrachée de son poignet, mais il ne s'en rendit pas compte immédiatement. Lorsque les appareils de la R.A.F. arrivèrent pour le couvrir et donner la chasse aux deux Me-109, le Spitfire de Deere était en flammes. Celui-ci parvint à le renverser et à sauter en parachute, ce qui lui valut un poignet cassé. Mais, avec sa chance habituelle, il atterrit dans un champ à cinquante mètres d'une ambulance de la R.A.F. arrêtée par hasard sur une route voisine; le chauffeur et son assistant déjeunaient.
Deere s'en tira et continua à se battre, mais beaucoup d'autres connurent un sort différent. Alarmé par l'hémorragie constante de ses effectifs, Dowding ordonna à ses commandants de groupe de prendre l'air seulement pour des combats rapprochés, et de ne pas laisser les pilotes poursuivre l'adversaire au-delà du point d'où le retour en vol plané vers la côte anglaise restait possible. « Je veux des aviateurs vivants et non des héros morts», leur dit-il.
L'astuce de l'as Allemand Galland pendant la bataille d'Angleterre

Préparation de la phase 2 de la bataille

En juillet, Dowding écrivit dans son journal qu'il avait l'impression que le temps travaillait pour la R.A.F. et pour l'Angleterre. Ce qu'il ne savait pas, c'est que les officiers de renseignements de la Luftwaffe travaillaient aussi pour lui. En effet, les statistiques des pertes de la R.A.F. présentées à Goering à la fin du mois avaient convaincu le Maréchal du Reich que la phase n°1 de la bataille d'Angleterre était gagnée, la Manche interdite aux navires anglais, et la R.A.F. paralysée. En réalité, de petits convois côtiers franchissaient toujours le Pas-de-Calais et allaient continuer de le faire. Quant à la R.A.F., elle possédait plus de chasseurs à la fin de juillet qu'au début. Au cours de ce seul mois, l'industrie aéronautique britannique avait construit 496 chasseurs, soit quatre fois plus que la production mensuelle habituelle avant Dunkerque.
Goering présenta triomphalement ses statistiques à Hitler et lui demanda de l'autoriser à préparer ses forces pour la phase n°2 de la bataille. La réponse de Hitler le combla de joie. Le 1er août, le Führer donna l'autorisation de lancer une attaque massive contre les défenses aériennes britanniques. Par la «Directive de Guerre n°17 », il décida de « créer les conditions nécessaires à la conquête finale de l'Angleterre» et d'entreprendre les actions suivantes:
La Luftwaffe détruira une fois pour toutes la R.A.F. et les défenses aériennes britanniques en s'attaquant non seulement aux unités aériennes, mais aussi aux aérodromes et autres terrains d'atterrissage, aux installations d'approvisionnement, à l'industrie aéronautique et aux usines fabriquant du matériel antiaérien.
Ces opérations terminées, tous les ports de la côte sud de l'Angleterre devront être détruits, à l'exception toutefois de ceux qui sont destinés à être utilisés par les forces allemandes d'invasion.
La Luftwaffe devra agir rapidement, implacablement, avec initiative et audace, mais en prenant soin de réserver des forces suffisantes pour pouvoir participer à l'opération Lion de mer, c'est-à-dire à l'invasion proprement dite.
Hitler ajouta une condition. La Luftwaffe ne devait en aucun cas se livrer à des raids de terreur contre la population civile anglaise, pas même en représailles des raids de la R.A.F. sur l'Allemagne, sauf s'il en donnait personnellement l'ordre. « Bombarder dans le but de créer une panique générale doit être la solution extrême », déclara-t-il. Il précisa à Goering que cette interdiction s'appliquait tout particulièrement à Londres. La capitale anglaise était interdite aux bombardiers de la Luftwaffe.
Geoffrey Page, pilote d'un Spitfire gravement blessé par le feu d'un Me-109, réussit à sauter en parachute bien que ses mains fussent carbonisées jusqu'à l'os. A demi nu, le corps et le visage brûlés, il flottait dans l'eau en proie à d'atroces souffrances, lorsqu'il eut soudain vaguement conscience qu'un bateau tournait autour de lui. Page perçut finalement une voix qui demandait:
« Qui êtes-vous? Un «Jerry» (Boche) ou l'un des nôtres? » Il lui fallut un certain temps pour rejeter l'eau qu'il avait avalée et crier à travers ses lèvres tuméfiées: « Bande de c..., sortez-moi de là! »
Le bateau s'approcha immédiatement de lui et des bras puissants le tirèrent à bord.
« Dès que vous avez juré, lui dit l'un des marins, nous avons su que vous étiez de la R.A.F. ».
Témoignage
Geoffrey Page sauvé de la noyade