Dénonciations de Juifs

Les Juifs
dans l'Allemagne nazie

Loin d'être une organisation proactive qui traquait elle-même avec détermination ses adversaires politiques, la Gestapo avait pour tâche principale de trier les dénonciations volontaires qu'elle recevait.
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Le marchand de vin juif

dénonciation de juifs en Allemagne en 1933
Les dossiers fourmillent d'histoires sordides révélant les motivations des dénonciateurs. Un dossier évoque un marchand de vin juif de Würzburg qui entretenait une liaison avec une non-Juive, veuve depuis 1928. Il passait les nuits chez elle depuis 1930 et le couple avait fait part de son intention de se marier. Les documents montrent que la nomination de Hitler au poste de chancelier coïncide avec les premières objections (souvent accompagnées d'affrontements dans les escaliers de la copropriété) exprimées par les voisins de cette femme à l'encontre de son ami juif. Ce dernier cessa de rester le soir chez la veuve, mais il continua à l'aider financièrement et à prendre ses repas avec elle.
Alors, une femme de 56 ans qui vivait dans la même maison envoya une dénonciation à la Gestapo. Sa principale récrimination était qu'elle désapprouvait qu'une veuve eût une relation avec un Juif (alors même que cela n'était pas encore légalement un crime). De la correspondance échangée entre la police et le parti, il ressort qu'un voisin et elle pressèrent celui-ci d'agir. La section locale du parti exerça une pression sur les SS qui, en août 1933, conduisirent le Juif au poste de police avec une pancarte accrochée au cou. Ce panneau, ainsi que sa méprisable inscription rouge sang, sont encore soigneusement conservés dans le dossier. En lettres tracées au pochoir, il est écrit : « C'est un Juif que M. Müller. Je vis dans le péché avec une Allemande. » Müller demeura en prison plusieurs semaines avant de quitter définitivement l'Allemagne en 1934. Il n'avait enfreint aucune loi allemande.

Son courage lui avait coûté la vie

Sonja Totzke vint à Würzburg pour étudier la musique dans les années 1930. Son dossier révèle qu'elle devint un objet de suspicion pour son entourage. La première personne à la dénoncer fut un parent éloigné qui déclara qu'elle était trop amicale avec les Juifs et qu'elle savait trop de choses qui n'auraient dû concerner en rien les femmes, comme les questions militaires. Ce parent expliquait qu'il se sentait poussé à dire ces choses à la Gestapo en tant qu'officier de réserve (quoiqu'il n'y eût rien dans ce statut l'obligeant à le faire). La Gestapo plaça Totzke sous surveillance générale, mais cette surveillance prit un tour étrange : elle consista pour la police secrète à demander à ses voisins de garder l'oeil sur elle. Il s'ensuivit dans le dossier une masse de témoignages contradictoires. Parfois, Totzke faisait le salut hitlérien, « Heil Hitler », d'autres fois non. Mais surtout, elle faisait bien comprendre qu'elle n'éviterait pas de fréquenter des Juifs (chose qui, à cette époque, n'était pas un crime). Un dénonciateur anonyme suggéra même que Totzke pouvait bien être lesbienne (« Il semble que Mlle Totzke n'ait pas de prédispositions naturelles »). Mais il n'en existe aucune preuve concrète.
Néanmoins, c'était suffisant pour que la Gestapo la fît venir pour l'interroger. Le procès-verbal de son interrogatoire montre qu'elle fut mise en garde sans ménagement pour son attitude ; mais personne dans la police secrète ne pensait manifestement qu'elle fût une espionne ou coupable d'une des accusations farfelues portées contre elle. Elle était tout simplement excentrique. Cependant, les dénonciations ne cessèrent pas et le dossier atterrit finalement sur le bureau de l'un des fonctionnaires les plus sanguinaires de la Gestapo à Würzburg, Gormosky, du Service 2B qui s'occupait des Juifs.
Le 28 octobre 1941, Totzke fut convoquée pour un nouvel interrogatoire. La Gestapo fit un rapport impeccable de ce qui fut dit. Totzke reconnut que : « Si j'ai encore quoi que ce soit à voir avec les Juifs, je sais que je peux risquer le camp de concentration. » Malgré cela, elle poursuivit ses relations amicales avec les Juifs et fut de nouveau convoquée à la Gestapo. Elle s'enfuit avec un ami et tenta de traverser la frontière suisse, mais les douaniers helvétiques la livrèrent aux autorités allemandes. Au cours d'un long interrogatoire dans le sud-ouest de l'Allemagne, elle déclara : « Tout d'abord, je considère que les lois de Nuremberg et l'antisémitisme nazi sont inacceptables. Je trouve intolérable qu'un pays comme l'Allemagne puisse exister et je ne veux pas vivre ici plus longtemps. » Finalement, après un dernier interrogatoire à Würzburg, Totzke fut envoyée au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück d'où nous n'avons aucune raison de penser qu'elle revint. Son courage lui avait coûté la vie.